Le Cap, dans un futur proche.
Au sein de la société ultra technologique qu’est Moxyland, le monde virtuel a pris le pas sur le réel. Le téléphone portable, qui contient systématiquement les données personnelles de chaque citoyen, est un passeport obligatoire, sinon vital. Par ce biais que le contrôle de l’individu est devenu l’apanage de puissants groupes économiques pour lesquels la police sert de bras armé. L’apartheid, jadis axé sur la ségrégation raciale, a déplacé sa ligne de partage. Seuls ceux qui appartiennent au monde omnipotent de l’entreprise et se soumettent à ses règles ont leur place dans la société, les autres en sont exclus.
Parmi eux se trouvent Kendra, une étudiante en photographie, et Lerato, une programmatrice. Aspirant à plus de liberté tout en faisant quelques compromis, elles flirtent avec les limites. Leur leitmotiv : s’intégrer pour mieux détruire l’édifice de l’intérieur. Pour Toby, un jeune DJ, et Tendeka, activiste notoire, l’engagement dans la rébellion ne peut se faire que dans des actions coup de poings. Prêts à tout sacrifier pour atteindre leurs idéaux, ils se lancent dans une lutte sans merci contre la SAPS, la police Sud-Africaine. Mais cette dernière a développé de nouvelles armes d’une rare violence. L’affrontement est inévitable, l’issue du combat, elle, sera forcément fatale. Le compte à rebours a déjà commencé…
Avis : Aux pipelettes en parlent, on est assez fan de Lauren Beukes. Zina a presque tout lu. Pour moi, c’est le 3ème après Les Lumineuses et Les monstres. Bref, normalement un livre de Lauren Beukes vous emporte au-delà de ce que vous avez toujours connu ; avec une petite touche de justice sociale et de personnages totalement hallucinants et hallucinés ! Et c’est encore le cas avec Moxyland. Même si ce livre n’a pas la portée de ceux que j’ai lus, il est foutraque, dérangeant et me fait penser à du Damasio ou du Ayerdhal, avec le plaisir des jeux de mots un cran en dessous quand même…
On y suit 4 personnages dans un monde (mais particulièrement l’Afrique du Sud, dont est originaire l’autrice) où les entreprises (soda, pharmaceutiques, sécurité) ont beaucoup de pouvoirs et où nos téléphones portables sont des sésames. Ou pas… selon le citoyen (riche !!!) que vous êtes ! Lauren Beukes nous dépayse encore avec son vocabulaire d’Afrique du Sud ou son apartheid qui sous-tend tous les aspects de la vie dans Moxyland. Nous y suivons, Kendra, Lerato, Toby et Tendeka qui sont, chacun à leur façon, englués dans ce monde très inégalitaire. Ils ont aussi chacun, une façon d’y faire face.
Kendra est une artiste. Photographe argentique dans le monde factice du numérique, elle est proche de la gloire avec sa nouvelle exposition dont tout le monde parle. Le prix de « vouloir en être » est qu’elle est à la botte de son manager/petit-ami plus vieux, qui préfère que personne ne sache qu’ils sont ensemble… Mais surtout, quels effets auront sur elle l’inoculation qu’on vient de lui faire, qui déploie un virus Tatoueur dès qu’on boit un soda d’une marque particulière ?
Lerato, est un « bébé du sida » dont les entreprises ont repris les orphelinats et forment (formatent !!!!) leurs jeunes esprits comme ils veulent. Elle veut s’en sortir en tant que programmatrice en entubant son entreprise actuelle pour une autre « plus mieux bien » mais ceci aura peut-être un prix ?
Toby est quant à lui un gosse de riche qui joue les influenceurs et donc cours après le « buzz » … à n’importe quel prix ?
Quel sera le prix à payer pour Tendeka, l’activiste asiatique gay ? Celui de se perdre ? Perdre son amoureux ? Oublier son amour propre… ou pire ?
Et tout ceci dans un monde toujours plus connecté. Toujours plus gangréné. Toujours plus sécuritaire, en lien avec la SAPS, la police d’Afrique du Sud avec ses chiens robots et le taser direct dans votre propre téléphone… Entre 1984, Les furtifs et même Zone est de Marin Ledun, Moxyland est un concentré d’anticipation de nos peurs les plus violentes sur l’hyper technologie, les épidémies, les modes, les égotismes. La série Black mirror n’a qu’à bien se tenir…
La fin, qui dit beaucoup tout en laissant le lecteur lire entre les lignes, a fait beaucoup couler d’encre sur les réseaux. Pour ma part, si elle ouvre un gouffre sous nos pieds d’argile et devrait nous faire réfléchir, elle est surtout construite tout en ellipse, ce qui m’a énormément plu !
Mais ne rêvez pas, (pour les blogueurs qui ne sont pas sûrs d’avoir bien compris la fin et donc vu la noirceur de ce roman !) ici tout est glauque, mercantile, arriviste et la loi est au service du plus offrant…
Si ça ce n’est pas vendeur 😉
Moxyland de Lauren Beukes est un roman publié aux éditions Presses de la cité – Traduit de l’anglais (Afrique du Sud) par Laurent Philibert-Caillat.