En 1963, Lino Aldani imagine une société de contrôle obsédée par le risque sanitaire.
« Je suis en règle. Voici le thermomètre, les comprimés d’aspirine, les pastilles pour la toux. Ça, c’est la vitamine C, l’antiseptique, les antibiotiques. J’ai tout, vous ne pouvez pas me coller une amende ». La journée commence mal pour Nico. Il est dans le collimateur de la CGM, la société privée qui fait office de Sécurité sociale et il risque le contrôle sanitaire. Quand on sort des clous de l’État-hygiéniste, il vaut mieux être bien couvert, car dans cette société, la santé, c’est tout… ou rien.
Avis : Si L’épidémie, le précédant titre de la collection Dyschroniques m’avait paru moins percutant, 37° centigrades, le petit dernier de la collection (sorti en même temps), frappe en revanche juste et fort.
Nous sommes en Italie. La CGM est un organisme de santé privé, le seul habilité à gérer l’accès aux soins de la population. Tous les citoyens doivent souscrire un contrat avec elle s’ils veulent pouvoir aller à la pharmacie, ou appeler un médecin, et ce quel que soit le degré de leur état de santé. En sus, ils doivent veiller à ne pas se mettre en danger inutilement, du simple rhume à l’accident de voiture. La liste des restrictions est longue comme le bras ; les agents de la CGM, disséminés partout dans la ville, veillent au grain. Nico, le personnage de ce court récit ne supporte plus ce flicage continue. Jeune et en bonne santé, il se demande si son argent ne serait pas mieux employé ailleurs, que dans cette protection dont il estime n’avoir nul besoin…
Alors bien sûr lire un texte sur le risque sanitaire en pleine pandémie mondiale ça a quelque chose d’ironique. D’autant que l’un des axes étudiés ici par Lino Aldani est cette très actuelle question : jusqu’où seriez-vous prêt à aller pour vivre en bonne santé ? Alors qu’on nous confine pour la 2e fois en moins d’un an, celle-ci prend tout son sens.
Pourtant, le monde décrit dans 37° centigrades ne m’attire vraiment pas, au contraire j’espère que nous n’arriverons jamais là. Car, comme dans toute bonne dystopie, il est crédible. Si l’auteur ne s’attaque ici qu’au système de santé/mutuelle privé, il est difficile de ne pas faire le parallèle avec les omnipotents laboratoires pharmaceutiques. Et si en France nous avons la chance d’avoir un système de santé qui soigne sans distinction riche et pauvre, assuré ou non, ce n’est pas le cas de celui de tous les pays… Et encore une fois, nous venons d’accepter, collectivement, de restreindre nos libertés pour préserver la santé de tous… La première marche d’un système du tout contrôle ?
Visionnaire, 37° centigrades pose des questions qui résonnent fortement dans l’actualité mondiale, et pointe du doigt non seulement la privatisation des intérêts publics, mais aussi la société de consommation.
Nouvelle parue aux éditions Le passager clandestin (Dyschroniques) – Traduit de l’italien par Roland Stragliati