Bouleversée par le témoignage d’une prostituée nigériane, la journaliste Serena Monnier se rend à Lagos pour enquêter. Guidée par les militantes de Free Queens, une ONG qui lutte pour le droit des femmes, Serena découvre vite l’ampleur effarante des réseaux criminels qui prospèrent grâce à la prostitution. Pire, que des multinationales en font, au vu et au su de tous, une arme commerciale particulièrement efficace.
Avis : Encore une fois, Marin Ledun va droit au but dans cette violence brutale, sexuelle et crasse. Et c’est carton plein pour ce qui est de dépeindre la misère nigériane, né de l’abus des ressources à tous les niveaux : par les étrangers, qui corrompent ou tordent le bras aux dirigeants qui eux même corrompent leurs cercles familiaux, de connaissances et de travail, qui eux même profitent en subissant ou en y croyant et corrompant à leur tour les usagers, les citoyens, les plaignants…
Free queens parle de prostitution systémique pour vendre de la bière. Oui, vous avez bien lu. De la bière ! Tout comme Marin Ledun démontait dans Leur âme au diable, la machine à vendre des cigarettes même quand on connaissait les risques pour les usagers, même au prix encore une fois, d’hôtesses qui devaient montrer le fun de faire partie de ce système…
Et comme dans tous les livres de Marin Ledun, le système montre qu’il est prêt à absolument tout pour survivre. Il faut donc avoir le cœur très bien accroché pour lire Free queens. Quand l’un des policiers dit à sa femme : « bien sûr que ça va […] tant que je reste aveugle et sourd », on a tout compris !
En plus de la description de ce système nigérian, ce sont les personnages de ce roman à la frontière du polar et du noir, qui emportent le morceau. Ainsi, je vous présente Serena Monnier, la journaliste française qui ne lâche rien, même après une tentative d’intimidation plus que violente, même en plein confinement lors du covid 19 dans un Nigéria au bord de l’implosion. Elle est hyper décalée au début, car pour elle : la police est de confiance, la couleur de peau n’est pas une question, et parler résout les problèmes. Ha ha ha. « Alors bonne nuit, jeune journaliste, française, blanche, ignorante et pleine de préjugés ! »
Heureusement, il y a pour l’aider :
– Jasmine Dooyum, rescapée du réseau de prostitution nigériane en France, qui lui donne l’accès à des infos de premier ordre,
– Favour Egbe, une jeune étudiante venant d’une famille fortunée qui est bénévole chez Free Queens, une organisation qui aide les femmes voulant sortir de la prostitution,
– Esther Lekbot, une bénévole et influenceuse qui s’occupe aussi de la visibilité de Free queens auprès du peuple et des dirigeants,
– Pierre Faure en France, un avocat expérimenté qui va plaider contre le réseau qui a prostitué Jasmine et Mercy Daura, au Nigéria, avocate activiste féministe, réputée intouchable car mariée à un riche industriel,
– Corey Stander, un ex-mercenaire Sud-Africain, resté comme garde du corps au Nigéria pour les riches qui prennent des risques…
– et Treasure, la bâtarde, « hôtesse » pour la First, la bière doré et grenat, qui a de nombreuses choses à dire…
Et de son côté, Oni Goje, un sergent de la « road », un homme musulman, père de famille qui est parti de la brigade des homicides après avoir vu l’horreur d’une école coranique où les élèves étaient tout sauf instruits. Il va mener l’enquête de son côté pour pouvoir rendre à leur famille, deux corps de femme trouvés au bord de la route.
Après l’équipe des « gentils », ou plutôt ceux du côté de la justice car dire de Goje ou de Stander, qu’ils sont gentils c’est un peu poussé. Voici donc les « méchants » :
– Peter Dirksen, le commercial hollandais qui a vendu son âme au rendement !!!!
– directeur de l’usine Master Brewers, Olowu Nurudeen,
– Les passeurs, Idriss ou Gabriel Shehu-Usman,
– Les SARS (Special Antirobbery Squad) de Kaduna : Ira Gowon et Vitalis Udo. Ils sont assez opposés dans leurs pratiques de l’ordre au service de la bière : l’un y voit une possible remise en ordre de son pays, avec arrivée de devises, possibilité pour des familles aidées par leur fille prostituée pour la bière, d’aller mieux et il se fait le garant de cet objectif (totalement abject, OK mais le rendant dangereux car il y croit et y voit une sorte de croisade pour rendre à Kaduna, cette parente pauvre du Nord, sa vitalité), l’autre étant juste mené par ses pulsions de pouvoirs, sexe et violence,
– le système Nigerian dans sa globalité : président, ministres, fonctionnaires, police, justice…
Marin Ledun signe avec Free queens, un roman très abouti. C’est une fresque bouleversante sur fond de pandémie et de mondialisation, qui explore les valeurs de notre monde capitaliste et global. Mais surtout qui, dans un suspense calculé, nous remplit de terreur.
Free queens est un roman publié aux éditions Gallimard (Série noire)