Quelque part dans le futur.
La terre est sèche. Des grappes d’humains survivent dans les dernières oasis. Terminé les ruisseaux, terminé les animaux, terminé… la domination masculine. Parce qu’elles semblent être les seules à survivre à une maladie qui décime l’humanité, les femmes ont pris le pouvoir et les hommes sont relégués au rang de reproducteurs.
Rim, jeune sorcière élevée au convent, voit son premier saut dans le passé approcher avec impatience et fébrilité : et si elle n’atterrissait pas en zone utile et devait renoncer pour toujours à voyager dans le temps ? Et puis, qui est Alex, cette nouvelle venue qui la déroute tant, la pousse à reconsidérer ses certitudes ? Et si… Et si les hommes, en vérité, pouvaient survivre au fléau ?
Avis : Quel plaisir cela a été de lire Biotanistes. C’est une histoire super bien construite, qui met du plomb dans les cervelles, mais sans lourdeur, et qui m’a emporté dans un autre lieu, un autre temps avec ses sorcières matriarches du futur.
Dans ce monde post-apo, dans le désert, c’est pourtant avec un homme, Ulysse, que Anne-Sophie Devriese commence son récit. Ulysse est colporteur, un métier neutre. C’est-à-dire techniquement ni sous les ordres des Sorcières du Convent, ni sous les ordres des Nornes, les opposantes aux sorcières sont pour l’isocratie (égalité des sexes) ni sous les ordres des mi-cuites ou Semeuses, qui soumettent les hommes à l’esclavage pour leur semence. Il vient de sauver Rim, une fillette, qui sera sorcière car elle a échappé au Fléau, une maladie sans aucun remède. Ce fléau est attribué aux sorciers, qui sont pourchassés pour cela. Ils seraient même en voie de disparition.
Rim vivra donc au Convent avec toutes les autres sorcières en devenir (ou pas ?), les novices. Comme Circé sa nouvelle amie ou Olympe, son ennemie. Puis Alex, qu’il lui semble reconnaître de « ses rechutes » et qui la trouble. Lorsque Rim a des accès de fièvre, elle part dans une sorte de rêve où elle croit la voir.
Dans le Convent, les novices sont préparées pour le « saut » ; le voyage dans le passé qui leur permet de rapporter des connaissances perdues depuis l’arrivée du Fléau. Hydroponie, capteurs de rosée, biotanique (qui permet de remplacer les parties vivantes abimées des animaux ou humains par des prothèses mi-biologiques mi-inertes) ou livres, toutes les avancées technologiques proviennent du passé. Cela permet bien sûr, au Convent et à sa matriarche, Tidiane, d’avoir du poids sur les peuples. Car elle tient le cordon des connaissances.
Tout n’est donc pas rose dans ce climat désertique et des factions ennemies vont se révéler au fur et à mesure du récit. Anne-Sophie Devriese est une conteuse hors pair. Elle imbrique passé, présent, (futur ?). Ainsi que des intrigues inter-sorcières, inter-communautés (genre) et inter-villages. L’autrice dote aussi son récit d’humour « Laissons les ragots aux garçons ». Elle fait de multiples clins d’œil sur l’injustice sociale de donner des rôles genrés, sur comment une société exclut certains de ses membres s’ils ne rentrent pas dans les bonnes cases ou posent trop de questions… Que des femmes soient à la tête de la civilisation n’y change pas grand-chose, si l’éthique n’y a pas sa place, n’y est pas réfléchit.
L’autrice fait aussi la part belle au thème de l’initiation. Rim est une jeune fille en devenir. Émotionnellement, intellectuellement, sexuellement. Et c’est cela qui est prenant aussi dans Biotanistes. Comment un esprit jeune et façonnable peut être dirigé, enfermé ou au contraire ouvert. Et c’est magistralement mis en œuvre dans ce roman, sans lourdeur mais avec de l’intrigue, sans dogme mais avec amour et vigilance.
Une lecture époustouflante. Un univers incroyable. Des personnages attachants et profonds. Des thèmes variés qui font réfléchir sur le devenir de notre planète et de nos sociétés. Bref, une réussite !!!
Biotanistes est un oman publié aux éditions ActuSF (Naos)