Lanvil, mégapole caribéenne, vitrine rutilante des diversités culturelles, havre pour tous les migrants du monde, est au centre de tous les regards. À la pointe de la technologie, constellée d’écrans, la ville s’élève de plus en plus haut mais elle oublie les trames qui se tissent en son sein. Pat et sa bande de débouya vivent de magouilles et de braquages. Joe et Patson courent de galère en galère, poursuivis par les flics. Ézie et sa sœur Lonia, traductrices, infiltrent les hautes sphères des corpolitiques. Toutes et tous rêvent en secret de retrouver la terre de leurs ancêtres, le Tout-monde, enseveli quelque part sous le béton. Pour y parvenir, un seul chemin : faire tomber les murs entre l’anba et l’anwo, et renverser l’ordre établi.
Avis : On est plongé dans la vie à Lanvil, une mégalopole qui a poussé vers le haut sur des îles antillaises. On est dans un futur a moyen terme, je dirai 2100 environ ? En fait, il y a 2 Lanvil : Anba Lanvil où la vie est dure, où les nouveaux arrivants sont mis en quarantaine et Anwo Lanvil, ou vivent les plus riches. La technologie y est reine : implants, amélioration visuelle, écran-fenêtre dans les appartements, « palmopiles » qui disent votre identité, serres verticales aux terres auto-arrosantes et une huile bleue qui guérit par ses nanobots…
Joe vient de Nouvelle-Marseille et cherche Ivy, sa petite amie disparue ici. Il est aidé de Patson, le fils de Pat, l’un des 7 Mafias de cette ville basse. Il y a aussi Ezié et Lonia, 2 sœurs qui sont des traductrices pour Kossoré, le plus puissant des corpolitiques. Elles ne sont pas toujours alignées sur leurs envies ni sentiments. Rien ne va plus mais ce n’est pas encore vraiment visible. Ni pour le peuple : les grèves grondent. Ni pour les pauvres : il y a de plus en plus de campements sauvages. Ni pour Kossoré qui veut garder la main et une certaine idée des caribéens. Ni pour les 7 Mafias, qui ne sont peut être plus aussi alignés entre eux…
Petit livre par la taille mais grand par le propos. TÉ MAWON est un curieux mélange d’invention de langage futuriste et d’utilisation du créole. Le propos de l’auteur, Michael Roch, m’a fait penser à Ayerdhal en beaucoup moins abrupte. Et il rejoint Alain Damasio par son utilisation d’une langue mélangée et poétique. La préface inédite de Patrick Chamoiseau est assez technique mais intéressante et participe à cette pensée exigeante. « Quoi de mieux contre le déshumain qu’un avènement d’humanité sublimant les anciennes partitions ? ». Il y parle de la langue matricielle, ce créole-américain mais aussi bien français qui baigne et nourrit ce roman.
Le suspense est bien présent. On fuit la police. On est dans des complots que ce soient « anwo » ou « anba » de Lanvil. On vit la différence des 2 sœurs, ce qui crée un doute et fait monter la pression. La perte de certaines personnes nous entraîne également dans des questionnements intenses et donc dans un suspense bien mené. Pour autant, la lecture de ce roman est très complexe et pas aussi abouti que les 2 grands noms auxquelles je la compare. Mais cela reste une histoire puissante, une histoire pour briser des chaînes et développer une conscience postcoloniale. Une belle invitation à suivre cet auteur.
Roman publié aux éditions La Volte.