Céline de Roany est une nouvelle autrice de polar qui, en seulement 2 romans (Les beaux mensonges et De si bonnes mères), m’a totalement conquise ! Elle y met en scène Céleste Ibarbengoetxea, une héroïne forte et marquée par la tragédie. Ce qui ne l’empêche nullement de s’investir dans des enquêtes qui sont de véritables page turner. J’ai donc été ravie que Céline accepte de venir nous présenter son univers, et j’espère que cela vous donnera encore plus envie de découvrir ses romans 🙂
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Céleste est un personnage atypique, avec un passé récent très lourd à porter. Comment construit-on un personnage tel que le sien ?
Je souhaitais créer un personnage qui sorte des codes habituels du polar. Exit le vieux flic déglingos désabusé, alcoolique, divorcé, misanthrope, avec un enfant caché ou qui ne veut pas le voir ; je voulais une femme intégrée, mariée, mère de famille, avec des problématiques « normales ».
J’ai toujours été très impliquée / concernée dans la défense des droits LGBT. Mes amis homos m’ont fait remarquer à plusieurs reprises qu’en dehors de la littérature spécifique LGBT, il n’existait guère de personnage principal qui soit homo, comme si la littérature générale était nécessairement une littérature hétérosexuelle. En réalité, j’ai pris conscience que la littérature policière était très largement une littérature d’homme blanc hétérosexuel. Dès que l’on sort de cette sorte de courant principal, on bascule dans la littérature à destination des minorités. Or, les personnages majeurs de nos vies quotidiennes sont des hommes, des femmes, des homos, des hétéros, des trans, des blancs, des noirs, des asiatiques, des petits, des gros, des maigres, des blonds, etc. Je m’applique simplement à reproduire une certaine diversité que l’on côtoie tous les jours. Mon héroïne est ainsi à la fois normale et particulière.
Ensuite, j’ai construit mon personnage en réponse à l’intrigue des Beaux mensonges. Cette première enquête est centrée sur le thème du traumatisme et les différentes façons de le surmonter. Le personnage de Céleste a été créé pour s’inscrire dans ce thème, à sa façon. Je lui ai donc inventé un traumatisme qu’elle avait du mal à surmonter. Comme c’est une femme très déterminée, presque obsessionnelle dans le dépassement de soi et qu’elle venait d’une unité d’élite de la police, le traumatisme devait être à la hauteur, donc très fort pour qu’elle ait des difficultés à le gérer.
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Pourquoi l’avoir affublée d’un nom aussi compliqué et original que Ibarbengoetxea ?
J’ai des origines basques. Je souhaitais donc donner à mon personnage principal un nom basque et j’ai simplement consulté une liste de noms basques jusqu’à ce que ça fasse tilt !
Mon nom de jeune fille est compliqué ; je l’ai vécu au début comme un calvaire, puis comme une fierté. C’est peut-être aussi un clin d’œil à mon passé.
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Face à elle, son adjoint Ithri est plus… lumineux, disons. Pouvez-vous nous parler de leur duo ?
Céleste est froide et dure. Elle s’est beaucoup battue pour arriver où elle était, et, au début des Beaux Mensonges, elle est dans un constat d’échec relatif. Elle est en vie, mais diminuée, rejetée. Elle est assez raide aussi, très à cheval sur ses principes et ses valeurs.
Ithri intervient non pas comme un personnage miroir, mais comme un complément. Il est doux, très nonchalant, un peu désinvolte. Avec un personnage aussi âpre qu’elle-même, Céleste n’aurait offert que ses plus mauvais côtés. La désinvolture et l’empathie d’Ithri lui permettent de s’ouvrir peu à peu mais aussi de donner le meilleur d’elle-même.
J’avais aussi envie d’un personnage qui sorte des codes de policiers habituels. Un garçon qui soit doux et empathique, ça manque un peu dans la littérature policière qui carbure beaucoup à la testostérone.
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Les thèmes que vous abordez dans vos romans sont très forts. Les violences faites aux femmes d’abord, mais pas seulement. Au travers de personnages complexes, pleins d’ambiguïté, il est à chaque fois question d’humanité… et du monstre qui sommeille en chacun de nous.
La vie est ainsi faite. Il suffit d’ouvrir un journal et tous ces thèmes vous sautent à la gorge.
Le polar est un terrain de jeux fantastique. Sous couvert de divertissement, nous pouvons appeler nos lecteurs à adopter des points de vue différents ou à s’intéresser à des problématiques sur lesquelles ils n’ont pas eu à s’interroger, ou bien pas de cette manière.
Je crois que le meilleur comme le pire sommeillent en chacun de nous. Parfois, le réveil du monstre est simplement le résultat d’un enchainement de conséquences, de mauvais choix, d’erreurs. Je ne crois pas que l’homme soit fondamentalement mauvais. D’ailleurs, si on s’intéresse à l’actualité, aux faits divers, on s’aperçoit que les « monstres » sont souvent, d’abord, des gens malheureux.
En réalité, je ne crois pas aux monstres. J’ai assisté à plusieurs procès d’assises. Quand on entend les chefs d’accusation, on se dit qu’il faudrait jeter ces gens en prison et perdre la clé. Et puis, le procès aidant, lorsqu’on comprend comment ils en sont arrivés là, lorsque le procès leur redonne leur part d’humanité, explique leur geste (sans l’excuser pour autant), les spectateurs retrouvent eux aussi leur part d’humanité.
Plus jeune, j’avais été fascinée par le roman « Anatomie d’un meurtre » d’Elizabeth George, qui décrit l’enchainement inexorable menant à un crime particulier. A l’origine, le meurtrier est un garçon gentil, doux et plein de bonne volonté. Qu’est-ce qui l’a mené à l’irréparable ? Elizabeth George décortique le mécanisme. A la fin du livre, on n’a pas envie de libérer le meurtrier ou de l’excuser, mais on comprend et je crois qu’on a même pour lui de la compassion.
Qu’est-ce qui fait qu’un humain bascule ? C’est à cette question que mes romans s’efforcent de répondre.
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Dans De si bonnes mères, vos personnages ont recours à des techniques scientifiques plutôt innovantes, comme l’odorologie, ou celle de la réhydratation de cadavres. Comment avez-vous entendu parler de ces procédés, et eu l’idée de les incorporer à votre histoire ?
Grâce à Google ! Je fais beaucoup de recherches pour mes romans, je m’intéresse notamment à la médecine légale et aux techniques policières. Je suis tombée sur un reportage sur la gendarmerie qui mentionnait l’odorologie, j’ai tiré le fil et découvert le fantastique potentiel de cette technique très peu connue du grand public.
Pour la réhydratation, même chose. Je cherchais un moyen de redonner une identité à Mademoiselle X et je suis tombée sur cet incroyable article dans le journal La Croix !
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Qu’avez-vous préféré écrire ? Qu’est-ce qui a été le plus facile et au contraire le plus difficile ?
Le plus facile, pour moi, c’est d’écrire des scènes dans lesquelles les personnages annexes réagissent ou se parlent à eux-mêmes. Je n’aime pas les films dits d’ « action » ; le spectaculaire m’ennuie et c’est pareil dans les livres. J’aime que le rythme soit enlevé, mais sans esbroufe. Ce qui me fascine, ce sont les personnages et l’émotion qu’ils suscitent.
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J’espère que cela ne vous embêtera pas que je dise ça, mais vos romans me font penser à ceux d’Elizabeth George, à cause de la narration chorale. Est-ce une autrice que vous lisez ? Et pourquoi avoir choisi ce type de narration, plutôt qu’une histoire qui se placerait uniquement du point de vue de Céleste par exemple ?
Non seulement cela ne m’embête pas, mais ça me fait incroyablement plaisir. Elizabeth George est mon auteure favorite ; j’ai lu tous ses livres plusieurs fois.
J’adore cette narration chorale, qui permet de comprendre comment, parfois, deux personnes de bonne foi ne s’entendent pas, bien qu’elles soient absolument sincères. Dans ma vie, j’ai dispensé des formations de management et pour illustrer ce concept, on montre une image qui représente à la fois le profil de Freud, et une femme nue arquée en arrière. On distribue l’image à deux groupes en leur suggérant telle ou telle façon de regarder puis on demande aux participants de chaque groupe de dire ce qu’ils voient. Le procédé est assez connu aujourd’hui, mais ce n’était pas le cas à cette époque et parfois, le gens s’invectivaient : « je vois un vieux type barbu », « mais n’importe quoi, c’est une femme à poil ». Les participants ont eu la même image et pourtant, ils n’ont pas vu la même chose. C’est comme ça dans la vie, et on n’en est pas toujours conscient. La narration chorale permet de le montrer. Je trouve que cela enrichit considérablement l’histoire plutôt que lorsqu’on la raconte uniquement du point de vue d’une seule personne.
Sur un plan technique, ça aide aussi beaucoup à créer des doutes, ou susciter l’intérêt ou le questionnement du lecteur.
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Selon la petite bio aux dos de vos livres, vous résidez en Australie, pourtant vous avez choisi de situer l’action de vos romans dans la région Nantaise. Pourquoi ce choix ? Et n’avez-vous pas été tentée de mettre en avant l’exotisme de votre pays d’adoption ?
Lorsque j’ai commencé à écrire, j’étais arrivée en Australie depuis un ou deux ans et j’étais encore dans la phase de la lune de miel, quand on pense que tout est formidable et qu’il n’y a aucun problème. Je n’étais pas du tout légitime pour parler des problèmes sociaux australiens, je connaissais trop peu le pays et les habitants.
Or, c’est le cœur de mon travail. La localisation des enquêtes n’est pas anodine ; le lieu est presque un personnage à part entière.
Je connais Nantes très intimement puisque j’y ai beaucoup vécu, que j’ai arpenté les rues en long et en large, j’ai également assisté à la transformation de la ville avec l’arrivée du TGV, etc. C’est une ville fascinante, avec à la fois un passé honteux (le commerce triangulaire, l’argent de l’esclavage), riche, ouvrier, mais aussi déclassé (avec la fermeture notamment des chantiers Dubigeon en plein centre), historiquement contestataire, très culturel, etc. J’ai aussi beaucoup de recul sur cette ville. J’ai vécu dans de nombreuses autres villes et je suis sortie d’une certaine implication émotionnelle qui pourrait polluer mon propos. Cette ville est multiforme, très hétérogène. Il peut tout s’y passer, le plus merveilleux comme le plus sordide. C’est donc un terrain de jeu fabuleux pour une auteure de polar ; je ne pense pas épuiser son potentiel romanesque avant plusieurs enquêtes.
Une nouvelle série qui se passerait en Australie est en préparation, pour aborder les problèmes spécifiques à l’Australie, évoquer les paysages mais aussi le caractère et la culture particulière du pays. Du merveilleux et du sordide. Des polars, toujours 😊.
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Pouvez-vous nous parler de l’aventure éditoriale de Céleste ? Vos 2 premiers romans sont tout d’abord paru en auto-édition, sous les titres Spécial K et Vena Amoris. Qu’est-ce qui vous a mené à ce choix au départ, et que s’est-il passé avec les Presses de la cité ensuite ?
Je suis une fille très impatiente. Achever un roman, pour moi, c’était une énorme victoire sur moi-même et je n’avais pas envie d’attendre six mois qu’une maison d’édition m’envoie une lettre de refus disant que je ne correspondais pas à sa ligne éditoriale…
Je suis aussi très indépendante. J’aime bien décider pour moi-même. L’auto-édition était parfaite pour ça ; j’ai appris des tas de choses : faire une couverture avec Photoshop (je suis très fière que les Presses aient conservé ma première couverture), organiser des campagnes marketing, contacter des blogueurs, faire de la pub, pousser les portes, en fait. Ça a plutôt bien marché, j’étais assez contente de mon petit succès, donc lorsque j’ai achevé Vena Amoris, rebelote, je ne me suis pas posé la question. Dans l’intervalle, j’avais postulé à tous les prix auxquels je pouvais postuler comme auto-éditée, dont le Grand Prix des Enquêteurs en me disant (c’est une idée de mon mari et je la trouvais excellente) : « il suffit que mon livre arrive entre les mains de la bonne personne pour me faire connaitre ».
Et un jour, j’ai reçu un email disant : « Accepteriez-vous de revoir votre texte, les Presses de la Cité souhaitent vous éditer ». Comme c’est l’éditeur de mon auteure fétiche, j’ai sauté partout pendant une heure !
Puis j’ai réfléchi. J’étais très confortable dans l’auto-édition, mais j’avais le sentiment d’avoir atteint un plafond, que seule l’aide de professionnels m’aiderait à crever. J’ai donc signé avec Les Presses de la Cité en me disant que j’allais apprendre et progresser.
Et j’ai bien fait. J’ai intégré une équipe fantastique, avec des personnes très à l’écoute, très professionnelle. Je m’entends extrêmement bien avec mon éditrice, personne ne me dit ce que je dois écrire ni comment l’écrire, on ne me met aucune pression d’aucune sorte, tout le monde se tutoie, c’est à la fois très joyeux et très professionnel. Tout le monde me dit que mon écriture a énormément progressé avec De Si Bonnes Mères et c’est sans aucun doute sous l’excellente influence de mes éditrices.
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Une chose qui m’a étonnée : les Presses de la cité ont une collection dédiée au polar, Sang d’encre. Pourtant Céleste est paru hors collection. Sauriez-vous me dire pourquoi ?
Je ne sais pas vraiment. Je pense que la collection Sang d’Encre est uniquement du domaine étranger (des traductions) non ? Je n’ai pas posé la question.
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Avez-vous dû retravailler le texte pour cette nouvelle publication ?
Oui. Le travail sur la première enquête de Céleste a été assez fin, « du travail de dentelle » me disait mon éditrice : nous nous sommes employées à gommer les expressions ou gestes communs à tous les personnages (ils avaient tous des nausées à un moment ou l’autre de l’histoire ; ils haussaient tous les épaules, levaient en permanence les yeux au ciel, etc.), supprimer les répétitions, raboter un peu le texte.
Sur la deuxième enquête, le travail a été substantiel. Nous avons complètement remis à plat la structure de l’intrigue, ajouté des scènes, supprimé ou créé des personnages, accentué les conflits, le travail a été vraiment considérable, mais il était nécessaire. J’avais beaucoup travaillé Spécial K en amont, avec l’aide de ma sœur et d’une amie très chère. J’ai écrit Vena Amoris plus rapidement, pendant le traitement de mon cancer, j’avais besoin, très égoïstement, qu’il sorte, un peu pour mettre un terme à cette période terrible, si bien que je ne l’avais pas peaufiné autant que j’aurais pu.
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Est-ce que cette manière de faire connaître vos romans a changé quelque chose pour vous en tant qu’autrice ?
L’auto-édition ? Oui, je suis très impliquée dans le marketing et les réseaux sociaux. Je continue à faire ce que je faisais lorsque j’étais autoéditée.
Par contre, être éditée chez un grand nom de l’édition française m’ouvre des portes qui ne se seraient jamais ouvertes auparavant. Par exemple, j’ai été finaliste du Prix Maison de la Presse 2022 avec De Si Bonnes Mères, c’est un prix qui ne m’aurait pas été ouvert sans l’édition. Les Beaux Mensonges également continue sa carrière puisqu’il est finaliste des Petits Mots des Libraires dans la catégorie Découverte Polar.
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Et pour finir… Je suis bien sûr très curieuse du 3e opus. Et j’ai hâte ! Pouvez-vous nous en parler un peu ? Avez-vous commencé à l’écrire ? Qu’est-ce qui attend Céleste et Ithri ?
Céleste et Ithri vont revenir à Nantes. La situation de Céleste est un peu bancale au début du roman, à cause des événements de De Si Bonnes Mères. Ithri devra à son tour traverser une épreuve terrible ; bien entendu, tous les deux devront affronter une réalité qu’on préfère souvent ignorer, bien qu’elle soit sous nos yeux en permanence.
Je vais parler radicalités, féminisme, masculinisme, cristallisation des position et difficulté à débattre.
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Et quand pouvons-nous l’espérer ?
La sortie est prévue au début de 2023, possiblement de manière concomitante avec la sortie poche des Beaux Mensonges.