Jacek est un dealer de cocaïne, froid, précautionneux, cynique, qui ne consomme jamais les produits qu’il vend à sa clientèle huppée (avocats, médecins et personnalités de la télévision). A travers son monologue intérieur, il nous donne accès à l’univers de la nuit varsovienne, ses ruelles sombres et électriques, ses discothèques à la mode, ses fêtes privées luxueuses où s’affiche la jetset. Mais Jacek rêve de partir pour l’Argentine, et il rêve aussi de déluge : il voudrait voir la ville engloutie par les flots, ses bâtiments rayés de la carte, ses habitants noyés. Les choses s’aggravent définitivement lorsqu’un nouveau caïd apparait dans le paysage de Varsovie, Dario, un gangster à l’ancienne, brutal et ingérable, tout juste sorti de prison, qui va rebattre les cartes du milieu.
Avis : J’ai été éblouie par le côté obscur de ce roman.
Jacek Nitecki est un dealer plein de réserves. Il est réservé sur sa vie d’avant. Sa famille, d’où il vient… Alors il compartimente. Ses connaissances du milieu. Son boss, Piotr. Les recouvreurs de dettes. Ses clients. Il n’a pas de véritable ami. Sauf Pazina, mais il se ferait torturer plutôt que de l’avouer. Même à lui-même. Même à elle. Surtout à elle d’ailleurs. Il n’a plus de petite copine, depuis qu’il sait ce que cela fait de ne pas être aux affaires. De se laisser distraire par Beata… et il ne fume, ne boit, ne prend rien pour que sa concentration soit toujours optimum…
Il est aussi prévoyant. Il a un refuge que personne ne connait. Il a des faux papiers. Il a une belle bagnole mais n’en fait pas des caisses non plus. Il a bien une arme mais ne l’utilise jamais. Il a des planques bien faites dans sa voiture qui résistent aux recherches de policiers. Il est discret mais se tient au courant de tous et toutes. Il a aussi un indic chez les flics.
MAIS car il a forcément un mais… en cette fin l’année, il est soudain à cran. L’un de ses clients, Nabot, (ça ne s’invente pas… ah si en fait !) ne peut pas lui rembourser ce qu’il doit. Il est en manque de Beata, qu’il a recroisé. Il ne dort pas bien. Il doit partir en vacances pour l’Argentine mais avoir réglé tout ça avant… Et en une semaine donc, il va devoir revoir ces priorités.
Éblouis par la nuit est glaçant. Je me suis doutée dès le début que cela ne pouvait que mal se finir. Mais j’espérai quand même secrètement qu’il allait y avoir un retournement de situation. Avec son écriture calculée et méticuleuse et en même temps poétique et torturée, Jakub Zulczyk nous montre l’envers du décor. La pourriture derrière le luxe. La peur derrière les lumières. Les relents de honte derrière les gros bras.
Il a des envolées lyriques glauques avec les rêves que son dealer fait lors de ses courtes nuits : « Je suis attaché pour toujours à ce sable, à ce bitume, à cette fange, j’y suis attaché par un cordon invisible greffé sur ma nuque. Les coutures de la greffe sont infectées. » Il a aussi une sacrée dose de cynisme : « L’Art. La Mode. L’Esthétique. Bon nombre de mes meilleurs clients croient en ces conneries. ». Qui part parfois carrément en mélancolie : « Il ne faut jamais l’oublier. Hormis certaines formes de cancer, tout ce qui arrive aux gens est à leur initiative. ». Jacek croit en l’avènement d’un déluge monstrueux qui enlèvera tous les humains du dos de la Terre : « Une eau noire et froide tombe du ciel. […] Ça commence. »
Tout ce flou vibrant, ce gouffre oppressant et cette pression qu’il subit, m’ont mis sous l’emprise de cette histoire, de cet auteur. Les dernières pages finissent en apothéose. Ce fut grandiose mais tellement malsain que j’ai tout de suite enchaîné avec du Liane Moriarty (Petits secrets, grands mensonges chronique à venir, qui est quand même un peu plus léger) pour me laver l’esprit et que j’hésite vraiment à voir la série HBO Europe « Blinded by the lights » dont Jakub Zulczyk est le scénariste, adaptée de ce roman.
Roman publié aux éditions Rivages (Noir) – Traduit du polonais par Kamil Barbarski