La Ligue des Écrivaines Extraordinaires est une nouvelle collection de romans pulp dont le lancement est financé par une campagne Ulule actuellement en cours. Nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui Christine Luce, directrice de la collection, pour nous parler du projet.
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Bonjour Christine, voulez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Pour résumer, je suis romancière, nouvelliste, essayiste, anthologiste et collagiste, je travaille et j’écris pour des éditeurs et des revues dans les domaines de l’imaginaire et de l’illustration. Les Moutons électriques ont publié un roman pour adultes, les Papillons géomètres, j’ai dirigé Grands peintres féeriques pour leur collection Artbook que j’animerai dès sa reprise en 2020 avec plusieurs titres alléchants, et actuellement, je contribue au passionnant ouvrage de Sara Doke, Celtes ! J’ai publié également un roman jeunesse, Charlotte Caillou contre les Zénaïdes (Carnoplaste) et des anthologies, Bestiaire humain (Bibliogs) et SOS Terre et mer, une action indépendante en faveur de SOS Méditerranée pour soutenir le sauvetage en mer, un livre de solidarité qui me tient particulièrement à cœur.
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Vous venez de lancer une nouvelle collection, La Ligue des Écrivaines Extraordinaires. Des femmes racontées par des femmes. Une collection féministe ?
Entre autres, oui, bien sûr. Nous désirons passer à la vitesse supérieure pour exercer un militantisme pratique qui ne cherche pas à démontrer et encore moins à prouver l’évidence, une affirmation tranquille de l’existence des écrivaines depuis toujours. Les plus célèbres comme les plus modestes, toutes, comme tous, ont commencé par débuter, notre parti pris pour la Ligue est d’ailleurs d’ouvrir les portes aux nouvelles venues. Quant au concept, il est simple : nous écrivons ce qui nous passionne culturellement, de l’imaginaire, du pulp, pour le public qui nous ressemble : qui, par exemple, n’a pas été bercé par le mythe moderne de Frankenstein ?
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Où vous situez-vous par rapport aux Saisons de l’étrange ?
Les éditions des Saisons de l’étrange/Moltinus m’ont engagée dès la conception de La Ligue des écrivaines extraordinaires. Avec Melchior Ascaride, Mérédith Debaque et Vivian Amalric, nous sommes une équipe éditoriale formée autour d’une collection, La Ligue des écrivaines extraordinaires, je suis chargée de la diriger en toute indépendance, ce qui signifie simplement qu’ils n’interviennent à aucun moment dans mes choix littéraires, mais accompagnent le projet qu’ils ont amorcé. Nous collaborons à un projet commun auquel nous offrons nos compétences et nos talents, et nous partageons les risques et l’enthousiasme, ensemble. C’est une structure professionnelle horizontale étendue aux autrices qui me convient très bien.
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Pourquoi vous être intéressée au Pulp ?
Je crois que c’est un peu comme demander à l’équipe pourquoi nous nous intéressons à la littérature : pour autant de raisons que les lecteurs, il me semble, avec des variantes personnelles.
Pour répondre en mon nom, attachée à la littérature sous toutes ses formes, j’aime et j’estime la culture populaire, quelle que soit l’étiquette qu’elle porte, le pulp en fait partie. J’en ai lu beaucoup (et vu, films, séries, bandes dessinées…) avec plaisir, avec intérêt, parfois époustouflée. Pop aujourd’hui, roman populaire auparavant, les étiquettes de « mauvais genres » que les gardiens de la culture officielle lui accolent fréquemment pour la minimiser d’office paraissent étonnamment réductrices, y compris pour eux-mêmes. Cataloguer un fond foisonnant et inventif avec une espèce de loi arbitraire qui décrète d’abord que populaire est synonyme de médiocrité me choque toujours autant, c’est vouloir mutiler la création avant même qu’elle existe, d’après moi. Cet illogisme se poursuit quand les œuvres remarquables sont nettoyées de leurs étiquettes de mauvais genre, celles qu’ils ont fabriquées à leur usage exclusif, pour les présenter en conformité avec ce préjugé élitiste. Leur emploi du Deus ex machina, une ficelle littéraire grossière, n’en est que plus risible, lorsqu’ils inventent la métamorphose de textes populaires qui ont débordé de leur tri artificiel en « fables philosophiques » ou en « peintures sociales ».
Par goût et par choix, le pulp m’a donc toujours intéressée. Diriger La Ligue des écrivaines extraordinaires qui lui est dédiée ajoute une pointe de défi féministe, francophone et fun, comme mon avatar Démona, la cruelle cousine d’enfer, le martèle sur les écrans de la plateforme Ulule et les réseaux. Je m’amuse beaucoup, aussi, et je ne suis pas la seule : sans m’avancer beaucoup, il me semble bien que toute notre équipe s’amuse autant.
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Le financement de la collection passe par une campagne Ulule, actuellement en cours, pourquoi avoir fait ce choix ?
Ce choix est celui des éditeurs, il leur revient d’en donner les raisons précises. Cela dit, je suis en total accord avec leur démarche de « petits et nouveaux » dans le monde du livre. Grosso modo, dans un climat plus propice au commerce qu’à la culture, Moltinus et son émanation Les Saisons de l’Étrange se risquent dans une pratique alternative de l’édition professionnelle. Un retour au métier du livre dans sa dimension humaine, afin de travailler avec des gens de compétence ou de talent plutôt qu’avec des services anonymisés, et proposer aux lecteurs de devenir leur public et leur ambassade parmi eux. J’espère que les libraires amateurs de littératures de l’imaginaire s’intéresseront à ce modèle professionnel alternatif pour le développer à leur tour. Cette solution est perfectible, j’en suis consciente, mais comme tous les risques, l’avenir dira s’ils valaient la peine de les prendre.
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Le 3e palier de la campagne vise à financer une rémunération supplémentaire pour les autrices. Pouvez-vous nous parler de cette initiative ?
Ce palier découle directement de ma précédente réponse, la notion d’équipe assemblée autour d’un projet motive chaque palier, chacune des parties travaille pour lui selon ses compétences, chacune des parties prend des risques, mais la notion de profit commercial est supprimée pour celle de la rémunération individuelle. Bien entendu, je ne nierai pas l’aspect de cooptation qui démarre par un projet éditorial : c’est le métier de l’éditeur d’en construire la base avec beaucoup plus d’efficacité que moi, par exemple, qui n’aie ni la formation ni d’ailleurs l’envie de m’y coller. Mais la structure complète, nous la bâtissons ensemble : graphiste, maquettiste, directrice littéraire et autrices, c’est évident que le succès de notre entreprise se partage entre nous. En créer un palier était une étape démonstrative, mais nécessaire pour déclarer publiquement que les autrices sont rémunérées dès lors que le projet est financé, très honorablement de mon point de vue, et augmentées aussitôt que ce succès le permet.
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Chacun des tomes de cette première salve met à l’honneur une autrice du 18e siècle ou début 19e, en la plaçant comme héroïne de sa propre histoire. Pourquoi être parti sur ce positionnement ?
Alors là, parce que ! La raison n’avait pas grand-chose à voir avec le commencement. L’idée est née d’un de ces dialogues que les éditeurs (et éditrices, évidemment !) ont parfois dans l’intimité : ils se jettent des idées nues à la tête et tombent amoureux de l’une d’elles. Cette idée était tellement séduisante que je m’en suis éprise à mon tour et c’est elle qui nous a fourni tous les arguments littéraires pour l’habiller — en aparté, l’idée nue est le thème du roman graphique L’Idée de Frans Masereel, un grand artiste du début du XXe siècle que j’admire énormément.
En tout cas, le positionnement a démarré comme ça pour nous. Il nous a paru prometteur sous tous les angles que nous désirions mettre en valeur : le pulp que les Saisons promeuvent, mais aussi des opinions plus générales sur la littérature et ses écrivains… et ses écrivaines extraordinaires ! Il fallait l’écrire en pulp, notre fiction avec nos ingrédients : francophone, féministe, fun, « fffantastique ».
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Comment la sélection des héroïnes s’est-elle faite ? Quels critères avez-vous retenus, que souhaitiez-vous mettre en avant ?
Nos désirs ont déterminé la sélection en chahutant, comme dans une bataille rangée de polochons : pensez à une écrivaine des trois derniers siècles avant notre millénaire et sachez que l’un ou l’autre d’entre nous l’a proposée en défendant son choix. J’exagère un peu, mais guère.
Heureusement, c’est vrai, quelques critères nous ont guidés, à commencer par la publication précédente aux Saisons, La Ville vampire de Paul Féval, un roman d’aventures particulièrement inventif et drôle que nous apprécions tous, et son nouveau titre pour la réédition Ann Radcliffe contre les vampires, inspiré de la série télévisée dont la chasseuse de vampire est Buffy, vous l’aurez deviné. Cependant, plutôt que nous conformer à des critères forcément rigides, nous avons plutôt cherché une logique interne qui permette de mettre en scène des personnes ayant existé en même temps que les monstres de notre mythologie moderne, les unes et les autres dans un univers de littérature. La Ligue a pris consistance à ce moment-là : un comité international et occulte, un secret bien gardé, des écrivaines bien réelles et les créatures imaginaires qu’elles combattront pour la sauvegarde de l’humanité.
En bref, nous avons usé de notre background culturel pour en créer une facette supplémentaire. Après le fantastique et l’appropriation d’un genre connu depuis longtemps qui transforme les personnalités en héros d’aventures — les « edisonades », par exemple, étaient des pulps qui dès la fin du XIXe siècle racontaient les aventures fictives d’inventeurs clonés d’Edison, Villiers de l’Isle-Adam lui attribue le rôle principal de son roman-feuilleton L’Ève future en 1886 —, les critères de notre univers empruntent aux comics, on pense forcément aux Avengers, à la différence que nos écrivaines n’ont aucun pouvoir surhumain, elles eurent un talent bien humain qui a forgé notre imaginaire et notre culture à tous, elles écrivirent.
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Parlons des autres autrices maintenant, les « héritières », celles qui ont participé à la naissance de cette collection. Comment les avez-vous choisies, recrutées ? Et quelles sont les consignes qui leur ont été données ?
Le recrutement est un mot qui convient correctement aux deux aspects de notre proposition : rejoindre notre cause commune et en accepter le contrat. Il ne s’est pas déroulé sur un modèle précis ni de la même manière pour toutes, forcément tributaire de nos connaissances, de nos lectures et du feeling personnel, et des réponses que nous recevons. Nelly Chadour et Cat Merry Lishi écrivent déjà pour les Saisons, leur collaboration tombait sous le sens, j’ai lu Élisabeth Ebory qui a publié chez ActuSF, Bénédicte Coudière et Marianne Ciaudo ont été contactées par Melchior, je connaissais Sushina Lagouge et Laurianne Gourrier, George Spad est un cas spécial, une réédition mythique.
Le cahier des charges pèse peu : entrer dans l’univers de la Ligue, ne pas transformer le profil de l’écrivaine devenue extraordinaire et respecter son apparition dans la chronologie historique, au moins de leur vivant : Ann Radcliffe demeure une femme de la fin du XVIIIe siècle et ne rencontre pas Bram Stoker, par exemple. Les créatures conservent les prérogatives de l’imaginaire : dans la dimension que lui a inventée Le Fanu, Carmilla existe bien avant que l’écrivain soit né, nous exploitons une mise en abyme classique des univers conjecturaux. Enfin, maintenir la cohésion entre les romans grâce à Madame Leprince de Beaumont, l’ambassadrice de la Ligue auprès des écrivaines, et la cohérence en s’entendant sur les événements marquants survenus dans les romans des consœurs afin de les intégrer dans le sien. Le reste demeure l’affaire des autrices, elles sont maîtresses de leur scénario et de leur manière personnelle de l’écrire dans le cadre du pulp, la ligne éditoriale.
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J’ai parlé de première salve, mais d’autres sont-elles prévues ? Et si oui, pouvez-vous déjà nous en dire quelques mots ? Quel avenir envisagez-vous pour la collection ?
Notre proposition au public est ambitieuse, le premier palier a été franchi hier et je remercie les merveilleux soutiens qui ont validé la collection, nous avons rallié des lecteurs pour nos aventures, c’est formidable.
À présent, un défi ne s’abandonne pas aussi vite, je souhaite ardemment que le financement atteigne le dernier palier afin de nous publier toutes. Jusqu’au lendemain de la clôture du financement Ulule, je ne cesserai de parler de notre programme et je solliciterai toujours plus d’aide pour le diffuser. Mais d’ores et déjà, grâce à nos premiers souscripteurs, la collection est lancée, elle assure l’avenir de la préquelle et des trois titres de la relève. C’était une partie du contrat avec nos autrices de la deuxième salve, notre financement validé, elles peuvent compter sur nous pour un futur proche et pratique. Risque partagé, succès partagé, je pense que c’est un bon plan, non ?