Claire Evans vit dans un monde où la mémoire à long terme est une utopie. En sortant de l’adolescence, hommes et femmes découvrent à quelle catégorie ils appartiennent. Les chanceux font partie des Duos, capables de se souvenir des dernières 48 heures de leur vie. La mémoire des Monos, comme celle de Claire, se limite à la journée de la veille. Chaque soir, tous consignent religieusement leurs souvenirs sous peine d’oublier qui ils sont. Qui ils aiment. Ce qu’ils ont fait. Ou ce qu’on leur a fait.
Ainsi, le jour où un policier annonce à Claire que son mari aurait assassiné sa maîtresse deux jours auparavant, c’est le trou noir. Que s’est-il réellement passé ? Pour Claire, le compte à rebours a déjà commencé.
Avis : Pour son coup d’essai, Felicia Yap fait très fort ! Avec son intrigue originale et prenante, j’ai tout simplement dévoré Aux portes de la mémoire, dont le suspense est accentué par le contexte science-fictif.
Nous sommes dans un monde où les hommes et femmes se définissent par le nombre de jours qu’ils sont en capacité de se rappeler. Les monos parviennent à se souvenir des dernières 24h, les duos, le haut du panier, ont droit à 2 jours consécutifs de souvenirs. Toute leur vie est contenue dans leur journal qu’ils remplissent religieusement chaque soir, et lisent chaque matin. Ils ont toutefois des aptitudes d’apprentissage, qui leur permettent d’apprendre des « faits ». Enquêter sur un meurtre dans ces conditions est donc loin d’être une sinécure. Comment trouver le coupable lorsque lui-même ne se rappelle pas de son méfait ?
Le récit, qui se déroule sur une seule journée, est pourtant foisonnant grâce à l’astuce narrative de l’auteure. Chaque chapitre suit l’un des protagonistes impliqués dans le meurtre de Sophia Alyssa Ayling d’un point de vue interne : Hans Richardson, l’inspecteur chargé de l’enquête, Mark Evans, l’amant de la victime, Claire, sa femme, qui prétend avoir ignoré la liaison de son mari et enfin Sophia elle-même. Nous suivons leurs pensées, et découvrons le passé grâce à des extraits de leur journal. La psychologie des personnages est soignée et complexe.
Comme Hans, c’est par petit bout que l’on doit reconstruire le puzzle des évènements. Felicia Yap nous entraîne dans une histoire alambiquée de vengeance, de mensonges, de tromperie et de folie mais aussi d’abnégation et d’amour. Même si l’on parvient à deviner quelques éléments de l’intrigue, ce n’est pas gênant du tout, tant ce qui est intéressant, c’est la manière dont l’auteure nous mène à la résolution. Et Aux portes de la mémoire est un véritable page-turner.
En filigrane, l’auteure aborde aussi les thèmes de la mémoire (bien sûr) et de la discrimination. Dans cette société élitiste, elle ne se fait plus sur la couleur ou l’origine sociale mais en fonction de ses facultés mémorielles. Seuls les duos ont accès aux hautes études, et l’opinion publique s’accorde à penser que les monos sont moins intelligents. Le sentiment de supériorité est, semble-t-il, solidement chevillé à l’homme, quel que soit le monde dans lequel il vit. Pourtant, avoir une mémoire à court terme signifie aussi la possibilité de se débarrasser de la haine, de la douleur et d’un passé qui nous alourdit. Se voir accorder le bonheur de l’ignorance. Ou pas. À travers ses protagonistes, Felicia Yap amorce une réflexion sur ce qui nous définit.
Quand tu te souviens de tout, tu peux aussi te sortir de tout. Te venger et t’en tirer. Bien pratique, non ? Voilà précisément pourquoi moi, Sophia Alyssa Ayling, je vais m’en tirer. […] Oh ! oui. Se venger sera simple. Car personne ne se souviendra de ce que je vais te faire. Personne sauf moi.
Roman publié aux éditions Harper Collins (Poche) – Traduit de l’anglais (Royaume-Uni) par Thibaud Eliroff
Aux portes de la mémoire est précédemment paru sous le titre Au royaume des aveugles.
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