Danielle Martinigol est une auteure de SF pour la jeunesse. Elle a écrit de nombreux romans et nouvelles, seule ou en collaboration avec d’autres auteurs, et c’est avec Les Abîmes d’Autremer, une trilogie qui mêle avec habileté aventure et réflexion que j’ai eu le plaisir de la découvrir. Je suis très heureuse de l’accueillir aujourd’hui afin qu’elle nous en dise un peu plus.
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Voulez-vous nous présenter votre cycle, Les Abîmes d’Autremer ?
De tous les romans que j’ai écrit c’est celui qui me tient le plus à cœur, car c’est le plus adulte dans la réflexion sur les personnages et les situations auxquels ils sont confrontés. Et puis c’est un space opera et par goût, depuis toujours, c’est ce que j’aime lire et par conséquent, écrire. Le roman en trois époques raconte l’évolution sur vingt ans des membres d’une colonie terrienne très protectionniste qui est installée depuis deux siècles sur une planète entièrement maritime. Les Autremeriens sont réfractaires à toute intrusion médiatique de la Confédération humaine qui regroupe cent mondes. Mon héroïne est une jeune fille, puis femme, reporter dont le cours de la vie et la vision du monde va changer totalement au contact d’Autremer et de ses Abîmes.
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Comment sont nés les Abîmes ? Comment en vient-on à imaginer des êtres qui soient à la fois vivants, mais aussi capables de transporter des gens et de subir des transformations physiques ?
Un peu d’autobiographie est nécessaire. J’étais au Québec. J’avais vu des baleines dans le Saint-Laurent à Tadoussac. Le lendemain, depuis la Citadelle de Québec je regardais ce fleuve gigantesque et le port où s’était amarré jadis le paquebot Queen Mary. J’ai fait une croisière de trois jours à 17 ans sur le paquebot France. Un déclic s’est produit dans mon imagination : et si des baleines dix fois plus grandes que ces paquebots sillonnaient l’espace en transportant des voyageurs ? Les Abîmes étaient nés.
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J’ai cru comprendre que Les Abîmes d’Autremer n’avait pas pour but, au départ, d’être une trilogie. Que s’est-il passé ?
Les Abîmes d’Autremer étaient ce qu’on appelle un one shot. Le roman a remporté des prix prestigieux. Mais je restais sur ma faim… Je n’avais pas montré l’intimité entre un perl et son Abîme. Vu le succès du premier tome, l’éditeur a accepté une suite. D’emblée j’ai annoncé que ce serait deux romans supplémentaires. La trilogie m’a occupée sept ans.
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Pourquoi avoir fait ces choix temporels ? Notamment après L’Élue, n’avez-vous pas été tentée de raconter les aventures de Sandiane et de son Abîme ?
Mes personnages vivent dans ma tête. Donc ils vieillissent… et du coup, quand j’ai repris l’écriture des Abîmes, les héros étaient obligatoirement plus âgés et la société autour d’eux avait évolué… Pour moi, Sandiane était intéressante avec quinze ans de plus. Qu’était devenue la petite peste du tome 1 ? Quelles étaient ses relations avec son mari, ses amis, ses ennemis ? Comment avait-elle géré l’image de son père ? Mère à son tour d’une enfant hors normes, elle était bien plus passionnante à « manipuler » que jeune femme regardant sa Bathy devenir Abîme dans les eaux d’Autremer…
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Un des thèmes majeurs de votre roman est le pouvoir médiatique et son utilisation. Chaque tome traite d’ailleurs d’un aspect bien particulier, même si les dérives qu’il peut entrainer restent au centre de la réflexion. Qu’est-ce qui vous a donné envie d’aborder ce sujet ?
Je voulais être journaliste. Les écoles du journalisme étaient à Paris. Je vivais en Bourgogne. De nos jours ça semble simple d’aller faire des études loin de chez soi. En 1968, année de mon bac, ça ne l’était pas. Je me suis inscrite en face de Lettres à Dijon. Je suis devenue prof. Un métier que j’ai adoré. J’ai fait beaucoup de vidéos avec mes élèves. J’ai toujours été curieuse de la gestion de l’information dans les médias télévisés.
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Et que pensez-vous du fait que, alors que le dernier tome est sorti il y a plus de 10 ans, ces questions soient de plus en plus d’actualité ?
Nous disposons de plus en plus de chaînes d’infos et parfois nous nous sentons totalement ignorants des tenants et aboutissants du monde dans lequel nous vivons. À la télé, il y a le meilleur et le pire. On ne voit que ce qu’on veut nous montrer. Un jeune lecteur m’a dit un jour : il y a un mort dans chacun de vos livres, mais pas dans les Abîmes, le tome 1. J’ai répondu : Pas de chance, il y en a 950 à la première page. L’adolescent s’est écrié : Oh, ceux-là je ne les avais pas vus ! CQFD. En même temps, sans info on serait en dictature. Le tome 3 réhabilite le formidable travail des reporters au cœur de l’action.
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Les 3 tomes des Abimes d’Autremer sont parus pour la première fois entre 2001 et 2005, pouvez-vous nous parler de cette réédition ? Comment cela s’est-il passé ?
Une enseignante m’a prévenue que dans le manuel scolaire 2016 Lire aux éclats chez Nathan pour le collège il y avait le début des Abîmes dans le chapitre sur le journalisme en littérature. Elle voulait le roman, hélas introuvable, pour le faire lire à ses élèves. J’en ai parlé avec Jérôme Vincent, directeur des éditions Actusf. Il a souhaité republier l’intégrale. J’ai retravaillé pour young adults mais rien n’a été changé en profondeur. Je suis ravie de cette réédition sous le label NAOS avec la belle couverture de Jessica Rossier. L’objet livre me plait beaucoup.
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Un mot sur votre prochaine actualité ?
Toujours chez Actusf, vont sortir bientôt les tomes 3 et 4 de ma série Aventures à Guédelon. Deux volumes sont déjà parus : Les pierres qui pleurent et Le maître-chêne. Trois adolescents vivent des aventures entre notre époque et le Moyen Âge dans le cadre du château fort de Guédelon en construction au nord de la Bourgogne. Après les tailleurs de pierre et les charpentiers du chantier mis en avant dans les deux premiers tomes, les deux suivants, La fleur de fer et L’homme au chat rouge, mettront en lumière le travail des forgerons et celui des teinturières de l’atelier des couleurs. Les couvertures seront de l’illustrateur Philippe Munch. Enfin, une autre série jeunesse se profile à l’horizon, mais il n’est pas encore temps d’en parler.
Merci Danielle !