Alex Evans est une auteure de romans et de nouvelles de SFFF. Elle anime également le blog romansdefantasy.com de ses réflexions sur l’écriture et le monde littéraire. C’est de son dernier roman, Sorcières associées, qu’elle nous parle aujourd’hui.
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Tanit et Padmé, les deux héroïnes de Sorcières associées sont très différentes l’une de l’autre. Pourquoi avoir choisi d’écrire un roman à 2 voix et quelle est celle que vous avez préféré écrire ? S’il y en a une 🙂
Bonjour et merci pour cette interview. J’ai toujours eu l’idée d’écrire un roman a deux protagonistes sans doute inspirée par des romans ou des séries tv de mon enfance : Fafhrd et le Sourcier Gris de Fritz Leiber, mais aussi Les Mystères de l’Ouest, Starsky et Hutch ou l’Arme fatale. L’écueil dans ce genre de récit est d’avoir une opposition si caricaturale que vous n’arrivez pas à écrire du point de vue de l’un des protagonistes, car il a perdu toute vraisemblance. Il faut aussi que vous puissiez expliquer ce que ces personnages dissemblables font ensemble depuis des années (un problème fréquent quand on veut mettre en scène un couple). Bref, vous avez à gérer non seulement le caractère de chaque individu, mais aussi leur relation. Et non, je n’ai pas de préférence pour l’une ou l’autre, car chacune à sa façon vit des aventures trépidantes.
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Votre roman prend place à Jarta, cité millénaire et tentaculaire. La ville fait un peu figure de 3e personnage, non ?
Oui. En fait, la plupart de mes romans de fantasy se passent dans le même univers à des époques différentes. Jarta y fait figure de carrefour (les carrefours avaient un sens magique où mystique dans de nombreuses cultures). Non seulement c’est un lieu de contact entre les différents peuples de cet univers, mais aussi entre le présent et le futur : s’il y a une nouvelle invention révolutionnaire, elle risque de passer d’abord par Jarta, avant de se répandre ailleurs. C’est la ville où tout peut arriver. Toutes les religions, toutes les idéologies, toutes les opinions scientifiques y son représentées. C’est une ville franche et libre dont les habitants, même pauvres, sont farouchement individualistes. Nombre d’entre eux sont venus d’ailleurs, justement pour jouir de cette liberté. La seule idéologie de la cité est l’argent. Pour ses citoyens, c’est le seul langage commun à tous les hommes. Seulement voilà : entre l’industrialisation galopante et l’accélération des échanges commerciaux, l’argent va changer d’échelle. Les jartiens sauront-ils encore parler sa langue? Enfin, la combinaison avec cette nouvelle forme d’énergie qu’est la magie ne va-t-elle pas totalement changer la donne ?
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Jarta a en plus un fort parfum d’Asie. C’est un décor que l’on rencontre assez rarement, qu’est-ce qui vous l’a inspiré ?
L’Asie? Oui et non. Dans un roman, ce n’est pas parce que l’un de vos personnages porte une cotte de maille et vit dans une forteresse avec des tours crénelées qu’il s’agit forcément d’un univers médiéval européen ! Les côtés de maille et les forteresses avec des créneaux ont existé aussi en Inde, dans les pays arabes, en Chine, en Afrique…
Jarta est simplement un grand port franc situé dans une zone tropicale, mais aucune des populations qui l’entourent ne ressemble vraiment à un peuple qui aurait existé dans notre monde réel.
Lorsque j’avais élaboré mon univers, je me suis demandé à quoi cette cité pourrait ressembler après une révolution industrielle semblable à celle que nous avons eue au 19ème siècle. J’ai pensé qu’elle ressemblerait sans doute à un de ces grands ports asiatiques aux « régimes spéciaux » dont les noms faisaient rêver : Singapour, Macao… En plus, je voyais bien Tanit avec un côté Marlène Dietrich dans « Shanghai express ! »
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Sorcières associées est peuplé de nombreuses créatures surnaturelles, dont certaines très courantes comme les vampires ou les zombies. Malgré tout, la mythologie qui y est associée l’est beaucoup moins. Voulez-vous nous en parler ?
Et fait, j’ai fait un joyeux mélange : les démons qui s’incarnent dans les cadavres viennent d’Inde. Les goules, des pays arabes. Les zombies, des Antilles. Les gremlins, des premiers aviateurs américains et britanniques. Les possessions par des esprits hostiles, d’Afrique et d’Indonésie et les succubes d’Europe!
Comme je m’appuyais sur un folklore non chrétien, j’avais également beaucoup de mal à imaginer des créatures magiques qui en voudraient aux humains par pure méchanceté. Ça limite beaucoup les développements de l’intrigue. À la place, j’ai inventé tout un écosystème de créatures/plantes/micro-organismes magiques que je développe sur plusieurs romans.
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Dans votre univers, les zombies sont la nouvelle main d’œuvre bon marché, mettant ainsi les hommes au chômage.Une allégorie de l’industrialisation ?
Bien sur ! J’ai trouvé dommage que cet aspect des zombies ait toujours été oublié. Pourtant ça pose pas mal de questions : que se passerait-il dans une société où un travailleur a plus de valeur mort que vivant ? Et encore, je n’ai pas parlé des ogres… Et si les usines, mais aussi d’autres secteurs d’activité fonctionnaient à la magie, tout le monde ne se retrouverait-il pas au chômage ? L’argent aurait-il encore de la valeur ? Bref, c’est ce que nous promet l’informatisation massive, non?
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Pouvez-vous nous raconter l’aventure éditoriale de Sorcières associées ? Pourquoi avoir choisi de l’auto-éditer en premier lieu, et qu’est-ce qui vous a finalement donné envie de changer ?
En fait, les choses se sont enchaînées d’elles-mêmes. J’étais en train de finir de rédiger le roman, lorsque j’ai entendu parler de Wattpad, puis de l’autoédition par le biais du concours « Les Plumes francophones » d’Amazon qui promettait en plus, une certaine promotion. J’ai eu envie d’essayer et ça a plutôt bien marché. Ensuite, j’ai été contactée par Audrey Alwett pour me proposer de rejoindre le label Bad Wolf et j’ai trouvé que c’était une bonne idée de mutualiser les moyens (corrections, promo…). J’ai donc rejoint le label qui a été récupéré par les Éditions Actu SF peu de temps après. Cela a permis à Sorcières associées d’être distribué par d’autres canaux (format papier, librairies…).
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Avez-vous effectué des changements sur le texte pour cette nouvelle édition ?
Assez peu. J’ai dû rajouter une demi-douzaine de paragraphes au total.
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Vous avez plusieurs autres écrits dans le même univers. Pouvez-vous nous les présenter ? Peut-on y retrouver certains des personnages de Sorcières associées ?
La particularité de cet univers est d’avoir une magie qui apparaît et disparaît, suivant un cycle de près de mille ans. Sa disparition et son apparition entraînent à chaque fois des bouleversements technologiques, politiques, sociaux, idéologiques, et personnels, pour mes protagonistes.
Mon premier roman, Les Murailles de Gandarès se passe loin au nord de Jarta, environ 400 ans avant Sorcières associées. Il entame un cycle qui décrit ce qui s’est passé lorsque la magie a quitté cet univers, défaisant les sorts, emmenant avec elle les diverses créatures surnaturelles et surtout, mettant les sorciers au chômage ! Il s’agit d’un cycle de romans de style épique et il fait intervenir des êtres qu’on ne voit pas dans Sorcières associées mais dont on entend beaucoup parler : les dieux.
Les intrigues de La chasseuse de livres et La Machine de Léandre se déroulent peu de temps avant Sorcières associées et mettent en scène des sorciers « académiciens » qui travaillent dans un laboratoire de recherche en magie. Dans ce monde qui l’a oubliée et s’est tourné vers une nouvelle religion, ils se heurtent à de nombreux préjugés. Cassandra, la réceptionniste de Sorcières associées est l’héroïne de La Chasseuse de livres. C’est une étudiante en thèse de magie qui va échouer à Jarta après de nombreuses aventures.
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Avez-vous prévu de nouvelles aventures à nos sorcières associées maintenant ? Et si oui, pouvez-vous nous dire quand nous pourrons les retrouver et nous dévoiler ce qui les attend ?
J’avais effectivement écrit une partie de la suite, L’Échiquier de jade, où l’on voit nos héroïnes plongées cette fois dans une intrigue politique avec la visite de l’ambassadrice du puissant empire de Yartège. Malheureusement, je n’ai pas la moindre idée du moment où je l’aurais fini, ma PAE (pile à écrire), s’allongeant de jour en jour !
Merci Alex !