Limonov / Emmanuel Carrère

Limonov / Emmanuel Carrère

couverture de Limonov d'Emmanuel CarrereRésumé : « Limonov n’est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l’underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d’un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l’immense bordel de l’après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d’un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement. C’est une vie dangereuse, ambiguë : un vrai roman d’aventures. C’est aussi, je crois, une vie qui raconte quelque chose. Pas seulement sur lui, Limonov, pas seulement sur la Russie, mais sur notre histoire à tous depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale ».

Avis : Avec Limonov, j’ai été confronté à deux nouveautés.
Tout d’abord, une écriture particulière où les mots sont posés et justes. Avec un rythme tantôt entraînant et vivant, tantôt solennel et violent, j’ai ressenti un voile se déchirer devant moi. Pour me montrer une autre voie, vers ce qu’il me semble être aussi facile qu’une conversation avec un ami mais qui est, sans nul doute, très travaillée. J’ai vraiment apprécié ce ton de confidence autour d’un thé (ou plutôt d’une vodka citron !). Emmanuel Carrère arrive à mêler son histoire avec celle qu’il raconte de Limonov et rend cette fresque au travers de 6 décennies et de plusieurs continents, très abordable et presque palpable. On se dit qu’on aurait pu nous aussi la vivre ou tout au moins la humer.
Ensuite, cet effet travelling qu’utilise l’auteur dans ses descriptions. Des passages semblent être prêts à être « mis en boîte » et ont cette vision panoramique et mouvante du cinéma. Il y a bien sûr le « blessé de guerre par balle dans l’épaule » – c’est l’auteur qui se dénonce lui-même – comme tous les blessés de guerre des films de genre , le départ d’une femme, des paysages à couper le souffle….
Ces deux effets de styles, si l’on peut dire, m’ont émue et beaucoup plu.

Le « film » qui nous est décrit ici, est celui d’un personnage que l’on va, très vite, apprendre à apprécier alors que l’on devrait le détester irrémédiablement. Limonov est si entier qu’il ne reniera son idéal pour rien au monde. Ni par honneur, ni par facilité, ni par peur ou amour. Il penche toujours pour le loser, le moins riche, le moins fort…. Il préférera perdre que gagner en étant sous-fifre. Il se montrera valeureux et se relèvera de nombreuses chutes en se réinventant… pas tant que ça d’ailleurs. Il veut en découdre avec la vie, les autres et lui-même. Il sera servi et sera dans le désordre : travailleur à l’usine, mari d’une grosse moche bipolaire, mari d’une nympho, guerrillero, poète, valet de chambre d’un milliardaire, pauvre, peu riche, écrivain, chef charismatique, prisonnier…
La fin est un hymne à la grandeur (certains diront à la folie ou l’orgueil) de ce « citron bien acide » pour tous ceux qui l’ont connu, affronté ou aimé. Cette fin est belle, grave et dure, bref à son image.

Il faut rappeler que si l’écriture est splendide, le texte lui n’est pas fait pour les âmes sensibles. Viols, violence, guerre, sexe hors norme et tromperie y sont courants. Jamais de détails trop gores sauf pour l’âme du lecteur. Car rien n’est vraiment sanglant ou too much, mais parfois les violences psychiques et les descriptions de vies sordides sont bien pires et laisseront leurs empreintes poisseuses dans vos mémoires.

J’ai donc découvert une écriture magnifique, des effets cinématographiques, et aussi une vision de la vie dont je ne suis pas prête de me remettre de sitôt et dont je reparlerai dans ma chronique de Le chardonneret de Donna Tartt.

Comme si cela n’avait pas été suffisant, Emmanuel Carrère m’a ouvert à une compréhension d’un autre « continent » : les russes ! Où en tout cas, il nous fait percevoir sa vision de ce peuple. Une certaine fierté, un idéal que ni la pauvreté crasse, ni le luxe, n’enraillent.

Limonov pousse à réfléchir à son propre parcours, à ses idéaux. Il met en exergue les contradictions des politiques et des peuples. Il dépeint une humanité mouvante, parfois étincelante et parfois franchement du côté dark de la force.

Ce roman « historico-porno-punch in your face-punk-ramasse tes dents et réfléchit bordel » (ou un brin inclassable comme dirait l’autre) est un tourbillon organisé et implacable qui vous remue l’âme en la plongeant dans les bas-fonds de l’humanité puis l’élève par sa beauté. La force de cet homme y est dévoilée et sanctifiée au-delà même peut être de ce qu’il en espérait. Emmanuel Carrère fait donc un magnifique cadeau à son idole, et à nous, ses lecteurs. Même s’il est parfois sans complaisance comme lorsque qu’il dit : « Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement »…. Vous êtes prévenus : tout ne vous tombera pas tout cuit dans le bec !

Roman publié aux éditions Gallimard (Folio)

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