C’est avec un grand plaisir que nous accueillons aujourd’hui Adrien Tomas, jeune auteur mais dont le talent est déjà reconnu. Ses trois premiers romans (La geste du Sixième Royaume, La maison des mages, Notre-Dame des Loups) sont tous parus aux éditions Mnémos. Il a très gentiment accepté de répondre à nos questions et de revenir pour nous sur son parcours.
Comment vous est venue l’idée d’écrire Notre-Dame des Loups, votre dernier roman, car nous sommes plutôt loin de l’univers fantasy des Six Royaumes.
C’est justement cette distance qui m’a tenté : j’avais envie de voir si j’étais capable d’autre chose, d’écrire sur un thème et dans un genre un peu différent de mes précédents romans. Après avoir écrit la Maison des Mages, j’avais besoin d’une pause loin des Elfes et des dragons, alors je me suis attaqué aux cowboys et aux loups-garous. L’histoire est plus sombre, plus glauque, plus cruelle. Je me suis permis moins d’humour que dans mes ouvrages précédents, et je me suis concentré sur un groupe soudé de personnages plutôt qu’un éventail de caractères différents. J’avais envie de me concentrer activement sur des personnages, d’aller jusqu’au fond de leur psychologie, quand j’alternais dans la Geste et la Maison des personnages « complets » et des personnages « ébauchés », des personnages secondaires n’élevant que peu leur voix.
Notre-Dame des Loups est arrivée presque d’un coup dans ma tête. J’ai retrouvé récemment mes notes préliminaires, datées de 2012, alors que j’entamais à peine la rédaction de la Maison des Mages. Les personnages existaient déjà tous pratiquement dans la forme dans laquelle ils se trouvent dans le roman.
Pourquoi avoir choisi de placer votre histoire à cette époque, qu’est-ce qui vous a attiré dans le western ?
Honnêtement, c’est l’esthétique générale du western qui m’a attiré. Les ambiances froides, désolées, les hommes brutalement honnêtes, l’aventure, les immenses étendues sauvages… Le western est un genre qui insiste sur la rudesse, sur des besoins primaires, un peu archaïques, des hommes : la conquête, la vengeance, la survie, l’honneur… C’est ce que je voulais comme ambiance pour ce roman.
J’ai aussi eu envie de changer des épées et des lances pour tester les armes à feu. Histoire de voir s’il était possible de créer des scènes de combat faisant éprouver une sensation aussi « épique » qu’une bataille de fantasy…
Revenons à vos premiers écrits. Avez-vous toujours eu l’intention d’écrire une « suite » à La geste ou
celle-ci est-elle venue après coup, avec la sensation de n’en n’avoir pas fini avec ce monde ?
C’est assez particulier : les deux personnages principaux de la Maison des Mages, Tiul et Anthalus, existaient avant l’écriture-même de la Geste. Leur histoire, dans les grandes lignes, existait aussi. C’est une histoire que j’avais en tête, que j’avais commencé à rédiger avant même de penser à la Geste. Quand la Geste est sortie, et que mon éditeur m’a demandé ce que j’avais dans mes cartons, j’ai eu envie d’intégrer ces personnages, qui m’accompagnaient depuis longtemps, dans une histoire du même univers, que j’avais encore envie d’explorer.
Le problème majeur était que les sorciers mâles n’existaient pas dans le monde de la Geste… alors pour aménager de la place pour Tiul, j’ai créé la Maison des Mages, qui était au final l’évolution logique du monde, et qui au cours de l’écriture est devenue un élément primordial de l’histoire…
Et cette fois, est-ce fini ?
Eh non, toujours pas ! J’ai en tête d’autres histoires pour l’univers des Six Royaumes… Une préquelle mille ans avant la Geste, une suite à la Maison des Mages, et une virée dans le passé (et le futur) du barde Llir…
Votre premier roman a reçu le prix Imaginales 2012. Comment on se sent après cela ? N’est-ce pas trop dur de se remettre au clavier ? N’aviez-vous pas trop de pression ?
En fait c’est la réception du prix qui m’a permis de me remettre à écrire, après une pause brutale entamée lorsque j’ai appris ma sélection. Entre ce moment et le moment où on m’a appelé sur scène, je suis resté dans un état second, bloqué au niveau de l’écriture, un peu comme un lapin dans les phares d’un camion. Je vérifiais tous les jours ma boîte mail, en attente d’un message me disant « désolé, en fait on s’est trompé, tu n’es évidemment pas sélectionné/vainqueur ». Je suis assez peu habitué aux honneurs, et j’ai passé beaucoup de temps à contenir ma joie, à me dire « attend, ce n’est pas possible, ils vont réaliser qu’ils se sont plantés », et à ne pas écrire.
Ensuite, quand il a été sûr qu’aucun croque-mitaine ne m’attendait dans l’ombre pour me prendre mon prix, j’ai fini par me détendre, accepter le fait que c’était possible, et ressentir (enfin !) la fierté et la joie d’avoir été nominé par le jury des Imaginales. C’était une expérience absolument géniale, d’avoir la confirmation d’être considéré comme un « vrai » écrivain, d’avoir des gens derrière moi qui appréciaient mon livre… C’est devenu un vrai moteur, qui m’a donné envie de me continuer à écrire, pour les remercier, pour leur montrer que je pouvais aller plus loin.
Est-ce que ce 1er roman a été le plus difficile à écrire ? Avez-vous acquis depuis des codes, une méthode… ?
A la fois le plus facile et le plus compliqué, je pense. J’ai eu tout le temps du monde pour l’écrire, le relire, le peaufiner, le modifier. Ça m’a permis de dérouler l’histoire comme je le voulais, d’expérimenter, de m’amuser…
La plupart des codes de structure, je les ai acquis pendant la correction du roman, avec Frédéric Weil, qui m’a débarrassé notamment d’un de mes plus gros défauts : le mépris de l’ordre chronologique. Certains chapitres, parfaitement clairs dans mon esprit, étaient composés d’allers-retours permanents entre des flashbacks et le temps présent, qui pour un lecteur extérieur étaient difficiles à saisir. Coralie David, ma directrice d’ouvrage pour la Maison des Mages et Notre-Dame des Loups, m’a appris aussi à reconnaître les moments trop rapides, où une description s’impose (elle a aussi déclaré la guerre à ma tendance à coller des majuscules à tous les noms que je trouvais, pour l’anecdote…).
Lors de la rédaction des romans suivants, j’ai appris à éviter ces erreurs. Par contre, je suis et reste incapable de structurer à l’avance mes histoires. Créer un synopsis complet, un scénario précis de ce qui va se passer exactement représente pour moi un calvaire. Je n’ai plus envie d’écrire quelque chose en sachant déjà tout ce qu’il va s’y passer, je préfère penser « on verra bien comment ça se passe » quand j’approche d’une situation de laquelle je ne sais pas du tout comment mes personnages vont se tirer, que prédire à l’avancer leur plan ingénieux. Je préfère arriver sur un problème, puis réfléchir à comment mes personnages réagiraient face à lui, et l’écrire ensuite…
Un bilan mitigé, donc : des erreurs que j’ai appris à éviter, mais toujours pas de méthode claire pour tracer mon plan d’écriture…
Vos romans, à chaque nouvelle sortie, semblent à chaque fois plus courts. Y-a-t-il une raison à cela ?
Je ne pense pas que ça va continuer comme ça, le prochain s’annonce quand même plus imposant que Notre-Dame des Loups, voire que la Maison des Mages…
Je ne pense pas que ça va continuer comme ça, le prochain s’annonce quand même plus imposant que Notre-Dame des Loups, voire que la Maison des Mages…
Mais il y a une raison logique, oui : la Geste du Sixième Royaume est un livre-univers, où j’ai plus souvent dérivé vers des descriptions ou des concepts, tandis que la Maison des Mages est un roman davantage orienté sur l’action, ce qui implique moins de temps pour s’arrêter regarder les arbres pousser, et donc moins de volume. Notre-Dame des Loups est un cas particulier : je voulais un roman concentré sur les personnages, et la structure de l’histoire, faisant partie de l’expérience de lecture, ne pouvait pas vraiment être étirée pour augmenter le nombre de pages. Ajouter d’autres personnages aurait à mon avis desservi l’histoire, et m’étendre sur certains chapitres aurait ralenti le rythme, que je voulais aussi haletant que possible. Au final, le roman est court, mais à certains égards, je le trouve plus complet que les précédents, puisque toutes les questions (ou presque) trouvent leurs réponses dans ses pages.
Déjà 3 ans depuis la sortie de votre 1er roman, votre vision de l’écriture et du monde de l’édition a-t-elle changé ?
Pour l’écriture en tant que telle, pas vraiment : ça reste un plaisir, un moment de calme, de concentration et de création, où je m’assois devant mon ordinateur et où je m’enferme dans ma bulle. Publié ou non, plusieurs romans ou non, le processus reste le même. Je pense que j’ai acquis un peu de méthode en plus, mais à part ça, j’ai l’impression d’écrire de la même manière qu’avant.
Pour l’édition, j’ai découvert un monde beaucoup plus humain, vivant et joyeux que ce que j’imaginais. Je pensais que mon passé de biologiste, de gamer, ma naïveté, tout allait me desservir. Je voyais l’édition comme un ensemble de gens très sérieux, très occupés, tournant autour d’auteurs autrement plus professionnels. Et j’avais évidemment tort : j’ai été accueilli à bras ouverts, par les auteurs et les éditeurs de toutes les maisons, tous des gens disponibles, adorables, professionnels mais aussi très humains, un joyeux microcosme de passionnés, ayant tous leurs défauts et leurs qualités, qui fait que je me sens, en même pas trois ans, presque en famille quand je suis avec eux.
Vos personnages sont travaillés, souvent complexes et leurs voix sont aussi bien masculines que féminines. Comment les abordez-vous ? Est-ce plus dur de faire parler le sexe opposé ?
J’ai toujours eu un penchant pour la complexité. Les personnages n’ayant qu’une seule motivation, une seule dimension, m’ennuient profondément (à moins d’en faire des obsessionnels, ce qui est déjà plus intéressant). La psychologie des personnages est importante à mes yeux, il est quand même rare qu’une personne puisse n’être définie que par une seule caractéristique : « le gentil », « le méchant », « l’amoureux » ou « le colérique » sont des clichés, à utiliser parfois, mais à détourner aussi. Pour moi, si certains personnages peuvent être définis par un unique adjectif, ils sont ratés.
En ce qui concerne les femmes, je n’ai pas particulièrement de difficulté à leur donner une voix. Les motivations, les idées, les désirs des personnages sont avant tout humains, avant d’être masculins ou féminins. Je n’ai pas l’impression qu’une femme fonctionne extrêmement différemment d’un homme, ni qu’elle soit incapable de faire, dire ou ressentir la même chose qu’un homme. Chaque personnage est unique, défini par sa psychologie, son physique, ses motivations, ses idées, le sexe est assez loin dans la liste de ce qui importe vraiment pour établir le personnage. Ce serait mentir de dire que ça n’a aucun impact, évidemment, mais pour moi, ce n’est pas plus difficile de faire parler une femme.
Un petit préféré ?
Tiul !
C’est un cri du cœur ^^ Pourquoi lui ?
C’est probablement parce qu’il me ressemble, ou qu’il ressemble à ce que j’aimerais être, tant au niveau des qualités que des défauts : le charme insolent, la répartie saignante, la loyauté profonde cachée sous l’air de ne pas s’intéresser aux autres, la paresse décomplexée, le sens pratique, l’humour et la bonne humeur en toutes circonstances… C’est un personnage entier, amusant, qui a en plus la particularité d’habiter ma tête depuis mes premiers pas dans l’imaginaire fantasy…
J’ai cru comprendre que vous étiez vous-même grand amateur de lectures, est-ce toujours le cas maintenant que vous êtes de l’autre côté de la barrière ? En avez-vous toujours le temps ?
J’ai malheureusement beaucoup moins de temps pour lire, alors que j’étais un très gros lecteur avant. Le temps vient rapidement à manquer, et je dois parfois choisir entre avancer une lecture ou avancer l’écriture d’un roman.
Le contrepoint positif, c’est que mon entrée dans le monde de l’imaginaire francophone m’a rendu plus curieux de la production française, moi qui ne m’intéressais pratiquement qu’aux auteurs anglophones. J’ai ainsi pu diversifier mes lectures et découvrir de très belles plumes !
Si oui, y a-t-il un ouvrage que vous aimeriez particulièrement recommander à vos lecteurs ?
Mon roman préféré toutes catégories confondues est Enchantement, d’Orson Scott Card. Une histoire de voyage dans le temps sur fond de contes russes, avec une princesse pénible, un héros maladroit, Baba Yaga qui découvre New York et un ours sous les feuilles…
Côté francophone, que dire ? On a largement de quoi concurrencer l’Amérique ! Dans les nouveautés, le dernier roman vampirique de Morgane Caussarieu est une tuerie ; le Manesh de Stéfan Platteau un bijou ciselé ; Dresseur de Fantôme de Camille Brissot un excellent moment d’évasion… En vrac, Oraisons de Samantha Bailly, Chien du Heaume de Justine Niogret, l’Archipel des Numinées de Charlotte Bousquet, Le Suivant sur la liste de Manon Fargetton… Énormément de bons bouquins, à condition de se donner la peine de chercher ! Et je ne parle que de ceux que j’ai eu le temps de lire…
Et enfin, pouvez-vous nous dire sur quoi travaillez-vous en ce moment ?
Pour le moment, la préquelle des Six Royaumes… Au programme, la naissance de l’Ange de Fer, la fin de l’Empire des Fées, et la malédiction des Immortels !
Merci !
Merci pour vos questions, et bonnes lectures !