En 1972, Marie-Claire Chevalier, enceinte à la suite d’un viol, est dénoncée pour avortement clandestin par son propre agresseur. L’avortement est encore, à cette époque pas si lointaine, un délit passible d’une très forte amende et même d’incarcération. Sa mère qui a tout mis en œuvre pour lui venir en aide, ainsi que des femmes ayant pris part aux événements, comparaissent elles aussi devant la justice, pour complicité. Cette affaire dramatique tristement banale devient l’un des grands procès historiques par le concours de Gisèle Halimi, avocate de toutes les grandes causes féministes et antiracistes. Elle s’empare de l’histoire de Marie-Claire et de sa mère, pour créer un électrochoc médiatique, public et sociétal. Elle ne défend plus une jeune femme « coupable » d’avortement, elle attaque les lois et politiques anti-abortives qui sévissent en France. Forte du soutien de grandes stars françaises, actrices, intellectuelles, journalistes mais aussi personnalités politiques, Maître Halimi a pour objectif de provoquer une jurisprudence dont le tribunal de Bobigny devient le théâtre.
Avis : Il y a quelques années, j’ai lu le Manifeste des 343 (très bon, je vous recommande) qui revient sur ce mouvement fondateur des droits des femmes en France, ce moment où 343 femmes ont avoué avoir avorté, dans la plus totale illégalité. Bobigny 1972, parle de ce qui se passe après. Après que cet acte révolutionnaire n’ait eu aucune conséquence légale, mais que les femmes qui ont osé signer se soient retrouvées au ban ; après que la justice soit restée muette face au désespoir de millions de femmes françaises.
Heureusement, Simone de Beauvoir et Gisèle Halimi n’avaient pas dit leur dernier mot et fondent Choisir (la cause des femmes), une association qui a vocation à porter la libéralisation de l’IVG (entre autres), en assurant notamment la défense des femmes poursuivies pour avortement.
Bobigny 1972 raconte l’un de ces procès, le premier, le plus médiatique. Celui où Marie-Claire, une jeune fille de 17 ans, doit répondre de son acte devant le tribunal pour enfants de Bobigny. A la brutalité du viol, au choc de l’avortement, dans la peur et la clandestinité, suit l’indignité du procès… où on la récuse, où on l’accuse.
C’est le procès d’une jeune fille, mais c’est aussi celui d’une loi qui infantilise les femmes, une loi qui protège les hommes qui leur font du mal, une loi qui crée des enfants malheureux et mal-aimés. Une loi qui opprime les femmes, une loi qui viole l’intégrité même de leurs corps et de leur être. C’est le procès d’une justice de classe, qui frappe les petits, les anonymes et oublie soigneusement les bourgeois, les privilégiés.
Marie Bardiaux-Vaïente et Carole Maurel lèvent le voile du passé sur cet évènement majeur, avec concision et justesse. Elles l’entourent de flash-backs pour approfondir le propos, la détresse des personnages, leur colère. Les textes sont incisifs, et les images parfois se passent de mots. Elles ne cachent rien de la violence faite aux accusées – car elles sont plusieurs à se retrouver sur le banc à côté de Marie-Claire, de sa mère à sa “faiseuse d’ange” – et c’est avec beaucoup d’émotion qu’on tourne les pages. Car derrière elles, ce sont toutes les femmes qui se tiennent debout. Qui se retrouvent malmenées, accusées.
Un livre d’histoire terriblement actuel, hier comme aujourd’hui la parole des femmes est sans cesse remise en question, hier comme aujourd’hui les droits des femmes doivent être défendus bec et ongles. Un titre fort, pour ne pas oublier et pour continuer, toujours, à se battre pour que nos droits soient respectés.
Bobigny 1972 de Marie Bardiaux-Vaïente (scénario) et Carole Maurel (dessins) est une bande dessinée publiée aux éditions Glénat