Résumé : « Les yeux d’Ève coururent sur les visages qui lui faisaient face. ? Mais oui, bien sûr ! Vous êtes venus dans cette cour pour cela, pauvres gens d’Hénoch. L’Éden, l’Éden ! Le jardin d’Adam et d’Ève. Tout savoir sur ce jardin de la faute, comme l’appelle notre fi ls Seth. Vous êtes venus m’interroger ! Et vous avez raison. Elle se redressa, nous offrant son sourire si particulier, si envoûtant. Ce sourire qui aujourd’hui me manque tant. ? Il est temps que cela soit dit. »
L’annonce du Déluge déchaîne la terreur chez les hommes. Ils veulent comprendre. Quelle est cette faute originelle dont ils subissent le châtiment ? Que s’est-il vraiment passé au jardin de l’Éden ? Quittant la ville d’Hénoch, ils partent interroger les premiers ancêtres, Adam et Ève.
Avis : Après avoir lu la quatrième de couverture, je m’attendais à lire soit un spin-off de la bible, soit une explication simple, soit des hypothèses sur CE fait que tout le monde (pense ?) connaître : Eve est une pècheresse et elle a entrainé Adam avec elle.
En fait, ce livre n’est rien de tout cela. Eve de Marek Halter est un récit raconté à la 1ère personne. Nahamma, l’arrière arrière petite fille d’Eve, nous raconte sa vie à Henoch, où son aveugle de père, Lemnoch, vient de tuer Cain et son propre fils. Elle raconte sa peur depuis des générations car la descendance d’Adam et Eve est vouée au courroux de Dieu. Elle raconte la difficulté de la vie dans le désert. Elle raconte sa mère et la soeur de celle-ci, elle aussi femme de Lemnoch et ses demi frères et soeurs. Elle raconte enfin les tentations des sauvages, les doutes envers les différents camps dans sa propre ville : ceux qui redoutent Elohim (Dieu) et ceux qui doutent de lui, qui blasphèment.
Puis le récit prend un peu d’ampleur et un petit souffle d’aventure avec l’arrivée de la fille d’Eve, la femme et la soeur de Cain. En effet, elle joue le rôle d’oracle en prédisant la mort du peuple d’Henoch par la volonté d’Elohim. Mais elle assure que Nahamma, elle et elle seule sera épargnée. Cela attriste et apeure la jeune fille. Les camps se divisent. Certains vont aller voir les anciens, les autres partent idolâtrer d’autres choses. Commence alors le road movie le plus mièvre de l’histoire du road movie. Si ce n’était pour l’épisode du bateau qui d’ailleurs n’est pas vraiment raconté car Nahamma s’y évanouit….
Quand enfin après quelques émotions (faux jardin d’Eden, tribus hostiles, doubleganger…), on arrive chez les anciens, Adam et Eve, je n’ai toujours pas eu de réponse (réponse nouvelle ou devrais-je dire auquel je n’avais pas encore pensé moi-même) à ma question : Pourquoi Eve a-t-elle croqué ce fruit défendu ? La seule chose un peu nouvelle est que Marek Halter met des pensées dans la tête d’Eve bien avant le « serpent », mais aussi des pensées différentes de celle d’Adam.
Le traitement des personnages est heureusement très moderne et a sauvé pour moi ce roman. Eve est touchante et incarne une femme forte et rebelle – un peu mais c’est déjà beaucoup si on compte qu’elle était la première et qu’elle s’est vu rabâcher et rabâcher pendant des centaines d’années son soi-disant méfait. Elle cherche la vérité et sait reconnaitre ses torts. Nahamma est plus attentiste et par trop naïve pour moi, mais elle est contrainte de bouger et représente une force de vie. Adam, Lemnoch et Seth sont des hommes colériques et orgueilleux qui jouent ici leur rôle « masculin » jusqu’au vice. Ils sont le pendant des femmes posées et qui gravissent ou contournent les obstacles pour leurs familles. Noah est présent pour l’héroïne mais leur passion sonne un peu faux, et il est un peu insipide. Excusez-le, il construit une arche… Les mères et les femmes d’Henoch sont plus inscrites dans le présent et la pérennité de l’espèce et réfléchissent à un meilleur avenir pour leurs enfants.
Donc, ce livre n’est pas une recherche d’explication, ni des hypothèses enfonçant le clou sur la culpabilité d’Eve ou la disculpant de tout pêché. C’est le récit et le point de vue d’une autre femme, descendante et imprégnée de respect pour son Dieu, sa famille aussi. Nous sommes amenés à nous souvenir que Dieu (Elohim dans le récit) nous a donné le choix, que la vie telle qu’on la connaît (avec ses grands et ses petits bonheurs, ses petits et grands malheurs) découle de ce choix.
Si vous vous attendiez à une œuvre philosophique ou explicative et dénonciatrice, vous serez déçus. Mais si vous vous attendiez à un bon roman (mais qui enfonce, pour moi, des portes ouvertes sur cette question ancestrale) alors lisez Eve.
PS : même les non croyants ou les plus-du-tout-croyants s’y retrouvent !
Roman publié aux éditions Robert Laffont