Jean-Noël Chatain, traducteur caméléon (selon les propres mots de son éditrice) de nombreux romans aux univers variés : dystopie (trilogie Insaisissable de Tahereh Mafi,…), fantastique (série Jaz Parks de Jennifer Rardin, Dracula l’Immortel de Dacre Stocker), policier (Ruth Rendell, Anne Perry,…) et bien d’autres encore, a eu la gentillesse de répondre à quelques questions. Il nous éclaire sur la complexité du métier de traducteur.
Première et évidente question : aimez-vous lire ?
Évidemment ! Mais, malheureusement, je ne trouve pas toujours le temps de « lire pour le plaisir », car je travaille beaucoup, alors je me rattrape quand j’arrive à prendre des vacances.
Avez-vous un genre littéraire que vous préférez traduire ?
J’aime bien les polars/thrillers, les polars historiques, les romans contemporains originaux, avec une dose d’humour. Mais j’aime avant tout les ouvrages « bien écrits », avec une histoire qui tient la route, des personnages bien campés, une narration fluide qui évite les redondances, les clichés. J’aime qu’on me raconte une histoire, tout simplement.
Y a-t-il une différence à traduire de l’anglais ou de l’américain ?
Plus ou moins. Je n’irais pas jusqu’à prétendre qu’il s’agit de deux langues différentes, mais l’américain a tendance à être plus « efficace », plus « concis », plus « elliptique » que l’anglais, on va dire. Je fais plutôt allusion aux romans dits « populaires » contemporains.
Comment abordez-vous une traduction ? Pensez-vous que le traducteur devrait, dans la mesure du possible, respecter le style de l’auteur ?Que pensez-vous par exemple, de la polémique sur la traduction du Trône de fer ?
Je n’étais pas au courant de cette polémique, je me suis donc renseigné sur le Net. Il semble que le premier traducteur de la série ait employé davantage un style « moyenâgeux » et le second un style plus contemporain, voire parfois trop moderne.
Pour ma part, j’essaye si possible de respecter le style de l’auteur, mais bon… j’adapte, évidemment, s’il y des incohérences, des anachronismes, des bizarreries, des répétitions, etc. On ne traduit jamais mot à mot, on ADAPTE, de toute manière. Par ailleurs, il est parfois nécessaire aussi de se mettre d’accord avec l’éditeur en ce qui concerne les éventuels critères de lisibilité propres au lectorat visé : lectorat adulte ou jeunesse, par exemple.
Quand j’ai traduit la série de polars historiques XVIIIe de Bruce Alexander, il est évident que j’ai écrit au maximum dans le style de l’époque, quitte, parfois à en rajouter un peu pour que ça sonne juste, mais sans en abuser.
J’évitais malgré tout la surenchère dans le subjonctif imparfait et le réservant, si possible, uniquement à la troisième personne du singulier, sinon ça devenait indigeste. Tout est question de dosage.
J’avais de l’argot de l’époque à traduire, il fallait bien que je trouve des équivalents en français en évitant, bien sûr, les anachronismes. J’employais par exemple « daron » qui fait référence au roi, au patron, au seigneur, à une figure autoritaire et/ou paternelle. C’est d’ailleurs assez marrant de constater que ce terme est largement réemployé et donc ressuscité de nos jours. En revanche, je n’aurais jamais employé « voyou » qui est apparu au siècle dernier et n’existait pas au XVIIIe siècle. Je lui préférais « gredin », « brigand », « scélérat », par exemple.
Quand j’ai traduit The King of Diamonds / Sombre éclat de Simon Tolkien, je me suis régalé à employer – notamment dans le dialogues –, des expressions aujourd’hui désuètes pour ne pas dire rétro, comme « dingo », « marteau », puisque l’intrigue se déroulait au début des années 60 et, bien sûr, j’ai demandé expressément (comme je le fais toujours) à ce que le correcteur respecte mes choix sémantiques/lexicaux. Je n’allais pas utiliser « médiatisée », par exemple, concernant une affaire « qui faisait la une des journaux », et certainement pas « flipper » pour un personnage qui se faisait « de la bile » ou « du mouron ». Je tenais à tout prix à éviter les anachronismes. À mes yeux, ça fait partie intégrante de mon boulot.
Cela me fait toujours bizarre quand, dans une critique, je lis des commentaires sur la qualité de la traduction (car je ne peux m’empêcher de me demander si son auteur a réellement lu l’œuvre originale). Qu’en pensez-vous ?
Ah, c’est un éternel débat ! Qui est habilité à juger qui ? Peut-être que le critique/chroniqueur exprime simplement un ressenti ? On va dire ça, histoire de ne pas froisser les lecteurs/chroniqueurs qui sont très souvent des passionnés et font vivre à merveille les bouquins sur le Net.
Quand on parle de la « plume » de tel ou tel auteur traduit en VF, on parle de qui au juste ? De l’auteur qu’on n’a pas lu en VO ou de l’auteur traduit en VF ou bien de la « plume » de son/sa traducteur/trice ?
Moi aussi, ça me fait toujours bizarre quand je lis la critique d’un bouquin que j’ai traduit, qu’il s’agisse de reproches ou d’éloges, d’ailleurs. Comment se défendre face aux reproches ? Surtout si le lecteur a lu le bouquin uniquement en VF…
A-t-il seulement conscience du travail effectué parfois (souvent) sur le texte original pour rendre celui-ci plus fluide, plus digeste en VF ?
A-t-il conscience que le traducteur (l’éditeur, le correcteur) s’est (se sont) employé(s) à corriger les bizarreries, les incohérences, les anachronismes, les redondances, les répétitions, les éventuelles coquilles de la VO ?
A-t-il conscience qu’on travaille désormais la plupart du temps sur les manuscrits en VO sous Word ou en PDF, avant même que le bouquin ne soit déjà publié dans le pays anglo-saxon d’origine ?
A-t-il conscience qu’on reçoit parfois des changements/rectificatifs, la version définitive en VO au dernier moment ?
A-t-il conscience qu’on est parfois obligé de faire du rewriting sur le texte qu’on traduit… ?
Vous-même, lorsque vous lisez un roman traduit en français, pouvez-vous juger de la qualité de celle-ci ?
S’il s’agit d’une œuvre traduite de l’anglais, je la lis en VO… très très rarement en VF.
Si c’est un roman en VF traduit de l’anglais/de l’américain, il y a de grandes chances pour que je repère (déformation professionnelle oblige !) les répétitions, les maladresses, les éventuels passages où l’on « sent » la traduction, forcément !
Je me souviens d’un Patricia Cornwell que j’ai dû acheter dans un aéroport et qui m’est « tombé des mains » au bout de quelques pages tellement il y avait de répétions, de verbes « avoir » et « être » à tout bout de champ.
S’il s’agit d’un bouquin en VF traduit d’une langue que je ne connais/maîtrise pas, je vais forcément juger le français et, si un passage me paraît maladroit, bizarrement écrit, je vais peut-être avoir des doutes sur la traduction.
Pouvez-vous choisir les livres que vous traduisez ?
Dans la mesure où j’exerce cette profession depuis de nombreuses d’années, certes, je reconnais que j’ai souvent la possibilité de choisir, de traduire en général ce que je préfère, de pouvoir refuser aussi.
Dernièrement, j’ai également refusé une offre de réédition pour une série traduite dans le passé, qui me tient à cœur et dont j’ai récupéré les droits en VF, puisque les ouvrages sont épuisés et non réimprimés ; en outre, les trois derniers épisodes sont inédits en VF. Mais l’offre était vraiment dérisoire, donc je n’ai eu aucun regret à la décliner.
Est-ce que cela vous est déjà arrivé de proposer vous-même un titre à votre éditeur ?
Bien sûr. Mais bon… encore faut-il que l’éditeur soit intéressé, qu’il puisse racheter les droits de traduction. Par ailleurs, la profession est assez cloisonnée : éditorial, administratif/gestion, commercial, etc… chacun ayant son domaine réservé.
Un éditeur susceptible peut éventuellement ne pas apprécier qu’on cherche, en quelque sorte, à se substituer à lui, dans tel ou tel choix éditorial.
Un éditeur maladroit/indélicat peut, le cas échéant, tenir compte de votre suggestion, racheter les droits du bouquin, voire de la série, et proposer le boulot à quelqu’un d’autre, en oubliant totalement que c’est vous-même qui lui avait fait découvrir cet auteur, ce titre/cette série… Ça m’est arrivé.
Nous remercions encore une fois très sincèrement Jean-Noël d’avoir pris le temps de répondre à nos questions. N’hésitez pas à aller faire un tour sur son site, très complet.