Mélanie, qui a grandi dans le culte de la téléréalité, n’a qu’une idée en tête : devenir célèbre. Mais son unique apparition à l’écran tourne au fiasco. Quelques années plus tard, mariée et mère de famille, elle décide de mettre en scène le quotidien de ses enfants sur YouTube. Le succès ne se fait pas attendre, et la voilà bientôt suivie par des millions d’abonnés. Jusqu’au jour où sa fille disparaît.
Avis : Delphine de Vigan est avant tout pour moi l’autrice du merveilleux No et moi. Elle est désormais en passe de devenir l’autrice qui parvient à me donner envie de lire des romans contemporains… et qui les aime ! Car Les enfants sont rois, avec son sujet sociétal controversé m’a autant fascinée – comme le quidam qui ralentit pour regarder le carambolage sur l’autoroute – qu’effrayée – mais où va-ton ?!
Le roman met en parallèle 2 trajectoires de femmes issues de la même génération. Mélanie Claux, une maman star des médias sociaux grâce à sa chaîne Youtube, Happy Récré. Chaîne où elle met en scène ses enfants, Kimmy, 6 ans au moment des faits qui nous occupent ici, et Sammy 8 ans. Face à elle, Clara Roussel, procédurière à la Brigade criminelle de Paris – c’est d’ailleurs la seule fausse note du livre puisque les 1,54 m de Clara sont bien en dessous des normes minimales requises pour passer les concours de police (1,60 m). Clara est une jeune femme réservée et précise, qui pose un regard affuté sur le monde, tout en s’y tenant légèrement à la marge. C’est la disparition de Kimmy qui va les mettre en contact.
Les enfants sont rois s’intéresse à cette génération, nourrie à l’aune de la télé-réalité, pour qui la célébrité est un but en soi, une manière de se prouver qu’on existe et qu’on a de la valeur, une manière de tromper l’ennui aussi et de trouver un sens à sa propre existence. Delphine de Vigan décortique avec finesse cet engrenage et ces shoots de dopamine qui poussent à abolir totalement les frontières entre vie privée et vie publique, à donner à d’autres le contrôle de son existence, au point d’être prêt à tout, jusqu’à mettre en scène ses propres enfants…
Car on ne va pas se mentir, ce que font Mélanie et son mari, n’est que le reflet des nombreuses chaînes qui pullulent aujourd’hui sur internet. Et ce que Delphine de Vigan décrit, c’est de l’exploitation pure et simple. Les enfants n’ont jamais la possibilité de dire « non, pas aujourd’hui … j’arrête … je ne veux pas porter cette robe, aller dans ce parc … » alors que les revenus de la famille en sont venus à dépendre entièrement de ces vidéos, qu’Happy Récré est un véritable business qui brasse des millions… Mais ce qui est le plus effrayant (ou rassurant ?), c’est que son personnage, Mélanie, croit sincèrement aux fariboles qu’elle se raconte, selon lesquelles ses enfants sont heureux et qu’ils adorent ce qu’ils font. Et tout ça, pour promouvoir, quoi ? l’exhibitionnisme de soi bien sûr, mais aussi la surconsommation, la malbouffe, le bonheur en boîte.
Les enfants sont rois livre un récit saisissant, fouillé, et qui pousse à s’interroger sur son propre rapport aux réseaux sociaux.
Quel titre de Delphine de Vigan me conseillez-vous ensuite ?
Ses parents s’étaient trompés. Ils croyaient que Big Brother s’incarnerait en une puissance extérieure, totalitaire, autoritaire, contre laquelle il faudrait s’insurger. Mais Big Brother n’avait pas eu besoin de s’imposer. Big Brother avait été accueilli les bras ouverts et le cœur affamé de likes, et chacun avait accepté d’être son propre bourreau. Les frontières de l’intime s’étaient déplacées. Les réseaux censuraient les images de seins ou de fesses. Mais en échange d’un clic, d’un cœur, d’un pouce levé, on montrait ses enfants, sa famille, on racontait sa vie. Chacun était devenu un élément indispensable à la réalisation de soi.
La question n’était pas de savoir qui était Mélanie Claux. La question était de savoir ce que l’époque tolérait, encourageait, et même portait aux nues.
Les enfants sont rois de Delphine de Vigan est un roman publié aux éditions Folio
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