Interview d’Audrey Alwett

Interview d’Audrey Alwett

photo de Audrey AlwettScénariste de bandes dessinées (Princese Sara, My Lady Vampire, Les aventuriers de la mer…), directrice de la collection Bad Wolf aux éditions Actusf et auteure du très apprécié Les poisons de Katharz, Audrey Alwett nous fait le plaisir de répondre aujourd’hui à quelques questions : son roman, son travail, Bad wolf… Rencontre !

  • Pouvez-vous, en quelques mots, nous présenter La Terre d’Airain, et la place qu’y tient Katharz ?

La Terre d’Airain est un continent assez vaste dans un univers de fantasy que j’ai développé. Dans ce roman, je m’intéresse plus principalement à Katharz, une ville-prison dans laquelle les royaumes voisins déversent leurs indésirables. C’est un endroit où le meurtre est légal et même récompensé puisque le seul moyen d’en sortir est de devenir un Chevalier des Arts du Meurtre mandaté. Bref, la vie n’est pas facile pour le citoyen lambda qui commence à développer une sacrée rancoeur envers la tyranne en place, Ténia Harsnik.
Ce que tous ignorent, sauf elle, c’est qu’un gigantesque démon dort sous la ville et que passer la barre des cent mille âmes le réveillera. La seule qui l’en empêche, c’est justement la très détestée tyranne. Au début du roman, elle a fort à faire puisque 1) la ville a passé les 99 000 âmes, 2) le prince du royaume voisin veut redorer son image en rasant Katharz avec sa trop nombreuse armée, 3) l’un des nombreux complots qui la vise est sur le point d’aboutir, 4) Dame Carasse, la seule sorcière de la Terre d’Airain capable de se mesurer au démon disparaît mystérieusement.
Si je devais citer des œuvres qui m’ont nettement influencée, je dirais qu’on est à la croisée du Disque-Monde de Terry Pratchett, d’Harry Potter de J.K. Rowling (ça va se confirmer un peu plus par la suite) et de Lanfeust de Troy de Christophe Arleston.

  • J’adore le style décalé et plein de bons mots que vous avez instauré à votre roman. Est-ce beaucoup de travail pour parvenir à un résultat qui soit à la fois drôle et accrocheur, mais naturel et justement dosé ?

Ça dépend pour qui. Il y a des auteurs pour qui ça vient du premier coup avec une grande facilité. De mon côté, je suis du genre à revenir 250 fois sur mon texte. Même quand il est sur le point de partir à l’impression, mes éditeurs me tapent sur les doigts, en disant: « Ça suffit, maintenant, c’est terminé ! Rentrez dans votre maison, Madame. »
Le naturel, je trouve que c’est le plus difficile à obtenir dans un texte. Dans l’idéal, il ne faut pas un mot en trop, mais que ça sonne juste, une bonne musicalité, un rythme alterné entre phrases courtes et longues… Il y a des gens qui font ça très intuitivement. Pas moi.

  • Comment l’idée du pilipulsus, l’art de la persuasion par battements de cils, vous est-elle venue ?

couverture de Les poisons de Katharz de Audrey AlwettLe pilipulsus se situe quelque part entre le langage morse et l’image subliminale. Je l’ai développé grâce au personnage de Grace, archétype de la femme fatale, qui pour des raisons politiques, est obligé de se comporter comme une dinde, alors qu’elle est très intelligente. Je lui ai donc cherché un talent qui correspondrait à sa personnalité. J’ai beaucoup d’admiration pour les gens qui ont du charme, en étant moi-même dépourvue. C’est ce qui m’a amenée à penser à un type de séduction, qui serait le résultat non pas d’un instinct, mais celui d’une discipline excessivement difficile du battement de cils.

  • Tenia est un personnage féminin comme on en rencontre rarement en fantasy : fort, à l’aise avec sa sexualité, sans fausse pudeur mais sans outrance. Voulez-vous nous en parler ?

Les personnages masculins sont très variés en littérature de l’imaginaire, tandis que les personnages féminins sont généralement décevants. Même si ça change depuis quelques années, on rencontre souvent les deux mêmes archétypes : la mère (celle qui prend soin du héros), et la putain (celle qui assouvit sa sexualité et qui est souvent une horrible garce, car la femme est ainsi parait-il). Même dans le cas où l’auteur crée le personnage de « la femme forte », qui n’est pas crédible une seconde, elle va avoir tendance à verser dans un de ces deux archétypes. Ça m’horripile tellement que j’ai d’ailleurs écrit un article sur le sujet.
Évidemment, je n’allais pas tomber dans les mêmes travers ! Comme toute une nouvelle génération d’auteurs, j’ai à cœur de créer des personnages féminins qui sont de vrais êtres humains et j’ai essayé de penser Ténia de cette façon. D’ailleurs à mes yeux, son rapport au corps est déterminé par le fait qu’elle a une épée de Damoclès monumentale au-dessus de la tête. Elle a appris très jeune que ce n’était pas elle qui comptait mais la multitude, elle n’a donc pas la place de s’encombrer avec des pudeurs, des timidités ou des démonstrations de charme permanentes.

  • Sous des dehors légers et des comparaisons pleines d’humour, il est question de manipulation politique, de course à l’armement, des rigueurs de la bureaucratie… Le roman n’est-il au fond qu’un prétexte pour pointer du doigt les travers de notre société ?

Soyons honnête, c’est le cas de la plupart des romans de fantasy… C’est tout de même extrêmement commode de pouvoir déplacer les problématiques que l’on souhaite dans un univers où personne n’a la possibilité de vous coller un procès, ni, tout simplement, de détourner vos arguments en recentrant l’attention sur des détails ridicules.

  • En outre, Les Poisons de Katharz aborde une thématique difficile. Et vous qu’en pensez-vous : est-ce qu’un plus grand bien justifie de faire le mal pour y parvenir ?

En ce qui me concerne, je pense qu’on n’a pas toujours le choix et que c’est très inconfortable d’être à la place de celui qui prend la décision. Je pense aussi qu’il est indispensable de mesurer l’ampleur du sacrifice et que la personne qui fait ce choix tourne en partie le dos à sa propre humanité. C’est aussi pour montrer l’autre versant, que l’un de mes personnages, lui, refuse de s’abaisser à cela. Mais il est celui qui a la partie facile. Quelque part, même s’il finit par être l’outil « pur » qui sauve l’humanité, c’est grâce aux sacrifices de ceux qui se sont sali les mains qu’il finit par réussir.

  • Le sous titre, Chroniques de la Terre d’Airain, invite à penser que d’autres titres pourraient suivre… Pourriez-vous nous en dire plus ? Y suivrions-nous de nouveaux personnages ou retrouverions-nous Dame Carasse et Ténia dans de nouvelles aventures ?

Oui, d’autres livres sont en préparation dans le même monde, mais ce ne seront pas des suites directes, car je tiens au principe unitaire : un roman, une histoire. On retrouvera Ténia en lointain personnage dans le tome 2, Les Trésors de Thalass, qui parlera des lourdes dettes d’état et du prix de la vie humaine. On ne verra pas Dame Carasse qui a beaucoup à réfléchir après le tome 1, mais elle devrait être le personnage principal du tome 3 qui pour l’instant s’intitule La sorcière qui avait trop d’ego et qui racontera la fondation d’une école de magie. Je ferai beaucoup évoluer la situation géopolitique lors de ces tomes pour développer ensuite une série young adult dont j’ai déjà le fil. Bref, j’ai un peu de pain sur la planche.

  • Pouvez-nous parler de la collection Bad wolf dans laquelle est paru votre roman ? Sauf erreur de ma part, celle-ci était au départ un label numérique… que s’est-il passé depuis ? Et que va-t-il se passer maintenant ?

Bad Wolf est aujourd’hui une collection de fantasy aux éditions Actusf, mais en effet, au début, nous étions un label numérique indépendant. Nous nous étions lancés avec Christophe Arleston (Le Souper des Maléfices) et Isabelle Bauthian (Anasterry) parce que nous nous connaissions bien et avions souvent travaillé ensemble. Comme le numérique commençait à cartonner et que nous avions envie de vivre notre aventure ensemble plutôt que de disperser nos manuscrits aux quatre vents, nous avons créé le label. Après quoi, je l’ai proposé sous forme de collection à Actusf qui l’a accepté avec enthousiasme.
Bad Wolf a quelques particularités. D’abord, c’est de la fantasy au sens large, mais qui fait tout de même un pas de côté par rapport à la fantasy ronflante traditionnelle. Nous sommes aussi à la recherche de textes dotés d’une belle éthique, et si possible humaniste. Je fais une véritable allergie au sexisme ou au racisme lancinant qu’on retrouve, hélas, trop souvent dans la fantasy « traditionnelle ».
Enfin, Bad Wolf a une jolie particularité, c’est que tous ses auteurs s’adonnent à un même jeu littéraire et que les lecteurs doivent trouver lequel. À chaque nouvelle parution, les lots augmentent. Actuellement, nous en sommes à trois livres Actusf du choix du lecteur, 5 ebooks et surtout un dessin original de Jean-Louis Mourier.

  • Que nous réserve maintenant la collection (en termes de parutions) ?

Il y a tout d’abord Sorcières Associées d’Alex Evans qui paraîtra en février. C’est une sorte d’enquête policière à deux voix, menées par deux sorcières dans un univers steam-punk avec un contexte géopolitique très riche et qui rappelle nettement l’Inde. Il y a aussi un vampire, beaucoup de zombies et une magie très codifiée. C’est moi qui suis allée chercher cette autrice dont j’adorais le travail. Je suis très fière qu’elle rejoigne la collection avec ce roman trépidant.
À la rentrée 2017, normalement, on devrait voir sortir deux autres romans. Une quête très poétique et magnifiquement écrite qui parle de fées, de voleuse et d’Angleterre. C’est une jeune autrice qui n’a pas encore un gros bagage derrière elle, mais je pense que son roman va beaucoup plaire. Et évidemment, il y aura Grish-Mère, le nouveau roman d’Isabelle Bauthian, dans le même univers qu’Anasterry. Je ne l’ai pas encore lu, mais je suis très confiante sur le travail d’Isabelle avec qui j’ai l’habitude de travailler. Isabelle est quelqu’un dont le sujet favori reste l’étude de l’intelligence humaine sous toutes ses formes. Elle le fait magnifiquement et le festival des Imaginales ne s’y est d’ailleurs pas trompé en sélectionnant Anasterry pour le prix des lycéens. On croise les doigts. En attendant, vous pouvez aller encourager Isabelle Bauthian qui fait le Nanowrimo cette année avec Grish-Mère ici.
Et bien sûr, il y a la pile de manuscrits que je suis en train de lire et à laquelle chaque auteur peut d’ailleurs contribuer en m’écrivant à labelbadwolf@gmail.com.

  • Je suis désolée de le dire, mais j’avoue que je ne vous connaissais pas avant de lire Les poisons de Katharz, j’ai donc fait quelques petites recherches… et j’ai découvert non seulement une auteure (oui, autrice* j’ai encore du mal, mais ça murit) prolifique et diversifiée (fantasy, BD, romance érotique, conte…), une directrice de collection et une personne engagée. Mais où trouvez-vous le temps de faire tout ça ?

Il n’y a vraiment aucune raison de s’excuser. Pour ce qui est de trouver le temps, c’est simple : je ne fais rien d’autre. Je vis de ma plume depuis mes vingt-cinq ans. Avant cela, j’avais déjà une discipline qui me faisait écrire deux heures par jour (depuis mes quinze ans). Mais depuis que je travaille au Studio Gottferdom (un atelier d’artistes à Aix-en-Provence), je suis passée à huit heures par jour, plus deux-trois heures en soirée, et autant le week-end. Pas vraiment de vacances évidemment. J’essaie d’avoir des loisirs, mais j’ai du mal à m’intéresser à autre chose qu’aux livres sur le long terme. Pour quelqu’un qui consacre autant de temps à l’écriture, je n’ai pas une grosse productivité, finalement.

  • Et maintenant, sur quoi travaillez-vous ? Quelle sera votre prochaine actualité ? Avez-vous un nouveau roman en prévision ?

Je travaille évidemment sur le tome 10 de la BD Princesse Sara pour lequel je n’ai pas le droit à l’erreur, puisqu’avec Nora Moretti, lacouverture tome 9 princesse sara dessinatrice, et Marina Duclos, la coloriste, nous avons un lectorat toujours plus nombreux et exigeant.
À côté de cela, j’avance très doucement Les Trésors de Thalass dont je parlais plus haut. Mais je suis surtout très concentrée sur un roman young adult, Magic Charly, qui m’emballe au plus haut point. En théorie, je fais même le Nano sur ce roman, mais comme j’écris sur cahier et pas directement sur ordinateur, je ne comptabilise pas le nombre de mots. Par ailleurs, j’avoue que je trouve l’interface du site beaucoup trop « gadget » à mon goût. Ça donne un côté sympa mais ça fait perdre pas mal de temps, tout de même.
En voici le pitch, avec lequel il faut imaginer un traitement très Harry Potter : « La vie de Charly bascule le jour où sa grand-mère s’installe chez lui. Celle avec qui il était si complice a totalement perdu la mémoire. Cependant, elle lui a laissé un message : elle était une puissante sorcière, dont les souvenirs ont été volés par le terrible Cavalier. Charly a hérité de ses pouvoirs, le voilà donc chargé de retrouver ses souvenirs que le Cavalier a éparpillés… »

Merci Audrey !

* ndlr : article passionnant à lire absolument !

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