Derrière la grille / Maude Julien

Derrière la grille / Maude Julien

Couverture de Derrière la grille de Maude JulienPlus de cinquante ans après, Maude Julien se souvient encore du bruit du verrou, quand la grille s’est refermée sur elle. Son père venait d’acheter une bâtisse lugubre, flanquée d’un parc, dans la région de Saint-Omer. Maude, alors âgée de trois ans, y vivra cloîtrée, sans jamais aller à l’école, sans jamais avoir d’amis. Enfermée mentalement aussi, car le patriarche veut faire de sa fille une « supra-humaine ». Elle doit apprendre à surmonter la peur, les privations, la douleur, la solitude pour être capable de réaliser la mission à laquelle il la destine. Longtemps plus tard, elle comprendra que son père, haut dignitaire d’une obédience maçonnique ésotérique, avait échafaudé un projet vertigineux dans lequel elle tenait le rôle central.
Comment se défaire d’une emprise aussi extrême ? Où trouver la force d’échapper à un tel embrigadement ? À dix-huit ans, Maude a réussi à quitter la prison de son enfance. Puis, au terme d’un long travail, à conquérir sa liberté.

Avis : Âmes sensibles s’abstenir ! Ceci n’est pas un roman, une fiction ou le fruit de l’imagination de Maude Julien. Ceci est l’histoire d’une vraie personne, le récit d’une vie plus que tourmentée, le souvenir d’une enfance – si on peut appeler cela une enfance – qui n’a rien d’innocent. Et, pourtant. Au fur et à mesure de ma lecture, j’ai eu des doutes. Impossible : une telle violence physique, verbale, psychologique, réelle ? Si. Et j’en suis – le mot est faible – abasourdie.

Maude Julien est aujourd’hui une double survivante. Elle a non seulement grandit dans un monde luciférien jusqu’à ces 18 ans, mais elle a revécu tout ce drame pour le mettre par écrit, cinquante ans après les faits. Comme si ces souvenirs, prisonniers du papier, pouvaient être enfermés dans un coffre à double tour et être oublié. Sauf qu’ils restent là, dans ce coffre dont on connaît l’existence même si on ne l’ouvre pas. Parce que ce qu’elle a vécu l’a forgée et est ineffaçable.

On est oppressé tout au long de notre lecture, comme enfermé derrière la grille avec elle. On inspecte chaque détail, décortique chaque phrase pour voir si il n’y a pas une échappatoire possible. On mesure l’emprise et le pouvoir psychologique qu’a son père sur elle, le lien incompréhensible qui l’unit à ses « parents » et l’espoir d’un changement qu’elle nourrit à travers d’infimes gestes ou paroles de leur part.

Le style est brute, nerveux mais si riche d’analyse des faits qu’on sent le travail de l’adulte pour comprendre et éclairer cette « éducation » hors du commun. Maude Julien revit son éducation pour s’en et nous en donner des explications richement détaillées, même si bien souvent plus que farfelues, et aborder cette relation inqualifiable qui la lie à ses « parents ». Certes, on aimerait en savoir plus, notamment sur le passé du père, son cheminement pour en arriver à des raisonnements si arbitraires et si extrêmes. On connaît, dans les grandes lignes, le passé de la « maman » et on n’ose imaginer son calvaire personnel. On ressent un peu d’empathie tout de même pour cette femme qui n’a connu que ce « Monsieur Didier » toute sa vie, qui a été élevée dans l’unique but d’élever à son tour une « supra-humaine ». On lui en veut de moins en moins de cette absence de maternité envers sa fille parce qu’on finit par comprendre que cette notion lui est complètement étrangère. Ils évoluent dans un univers dont les codes et les raisons nous échappent, malgré les efforts de Maude Julien pour nous les expliquer. Ce n’est pas un récit pour créer de l’empathie – même si on ne peut être sentimentalement parlant indifférent à ce qu’elle raconte et qui n’est pourtant qu’une infime partie de ce qu’elle à vécu-  ni une volonté de se faire plaindre. Le récit s’arrête sur sa libération, alors que la 4ème de couverture nous vend un travail de reconstruction. On peut imaginer que cela peut être parce que son enfance lui a échappé qu’elle ne raconte pas sa vie d’adulte qui lui appartient.

Derrière la grille est un témoignage si bouleversant qu’on peine à le penser réel.

Roman publié aux éditions J’ai lu

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