Résumé : Né dans une famille miséreuse, Blaise est vendu par son père alors qu’il n’est encore qu’un enfant. Dans l’atelier d’un peintre, il perfectionne son art du dessin et rêve de devenir un grand artiste. Mais en 1539, la Renaissance a beau étendre ses lumières sur la France, elle éclaire difficilement ceux qui, comme lui, sont issus de la fange des ruelles. Les hasards de la vie font qu’il est contraint à travailler pour Gaspar de Vallon. Ce chirurgien méprisant et ambitieux demande à Blaise d’illustrer son traité anatomique. Il lui impose toujours plus de séances de dissections de cadavres et le précipite dans une quête effrénée et illégale pour dénicher des corps dans les cimetières de Paris. Une rencontre vient toutefois transfigurer ce parcours : celle de Marie-Ursule, une prostituée énigmatique. Captivé par la beauté de la jeune femme, Blaise sent renaître son âme d’artiste et sa volonté de déjouer le mauvais sort qui semble s’acharner…
Avis : Appelons un chat, un chat, L’anatomiste est un chef d’œuvre qui allie Histoire avec un grand H, suspense et amour, avec même un soupçon de philosophie.
Du côté des faits historiques, nous sommes plongés dans cette époque un peu trouble du 16ème siècle. La « sorcellerie » est encore pratiquée, les croyances mènent le peuple et la misère est légion. Maryline Fortin, l’auteure, nous plonge directement, sans ambages, dans cette misère-crasse, avec son vocabulaire et ses tournures de l’époque. Nous sommes ensuite entraînés vers une certaine ouverture d’esprit, une culture, grâce aux thèmes du dessin, de la peinture, des connaissances anatomiques, médicinales ou médicales, qui sont autant de dons que possèdent certains personnages.
L’anatomiste n’est que flux et reflux, alternance d’images vives, et je dirais même émotives, entre beauté et déchéance, entre couleurs et noirceur, entre s’en sortir et mourir.
Toute la beauté de ce roman est dans cette cohérence de l’alternance :
– Ce va-et-vient des personnages principaux, Blaise et Marie-Ursule, qui au début ne le savent pas encore mais déjà se cherchent, se trouvent, s’éloignent de nouveau, se perdent peut être !
– Flux et reflux des émotions de chaque personnage même dans la fleur de l’âge, ils s’abandonnent, aiment, manipulent, sauvent…
– Alternance de traîtrise et d’abandon, d’envolée lyrique qui crée un bonheur pur.
Nous sommes ballottés puis emportés par cette force de vie en dépit du thème morbide et de la présence personnifiée de la mort (Hello Docteur Mortifère, mais aussi dans les hallucinations d’Adel et de Blaise). Là où l’amour côtoie la mort, l’immobilisme côtoie l’avancée de la pensée, et le suspense est finalement le grand gagnant.
En effet, celui-ci commence dès le début : Blaise va-t-il aller de Charybde en Scylla ? Il se poursuit avec les chasses aux corps et il est grandiose dans le chapitre 9 avec la fosse aux morts et la chaux. Il s’intensifie encore, si cela est possible, avec la question que l’on se pose au chapitre 13 : a-t-on affaire à un « Roméo et Juliette » de Shakespeare ou plutôt à un « mariage forcé » de Molière ? Enfin, on se demande vraiment ? comment ? si ? un happy end est possible.
L’anatomiste permet aussi un questionnement philosophique qui va au-delà de la vie et de la mort. Au-delà de cette dichotomie que Marilyne Fortin instaure puis désagrège entre bien et mal, mais qui nous entoure, nous emprisonne parfois en dehors de cette lecture. L’auteure finalement s’en échappe et nous en libère du même coup.
De cette alternance blanc-noir, horreur-bonheur, espoir-horizon bouché, les personnages en sortent vainqueurs, nous avec et sans nuance de gris. Parfois une troisième voie est possible et cette sagesse-là est le chef d’œuvre aussi valide, en demi-teinte éclatante et somptueuse, que le destin de Blaise.
Tout a mon souffle coupé d’un roman aussi complet et captivant, j’en aurais presque oublié de vous parler de l’humour. Subtil et revanchard, il nous permet d’apprécier le lien tenu de la vie avec la mort, du rire avec la peine et de l’amour/amitié avec le respect, le bonheur avec la réalisation de soi- même.
Alors, merci l’Artiste!
Roman publié aux éditions Terra Nova